Durant des siècles, on croyait que tous les cygnes étaient blancs, à tel point que dans l'Empire Romain l'expression "cygne noir" désignait quelque chose qui ne pouvait exister. Jusqu'au jour où, explorant bien plus tard les rivages de l'Australie, on découvrit l’impossible chimère, des cygnes d’un noir profond
Le philosophe et économiste Nassim Nicholas Taleb utilise cette histoire pour expliquer notre étonnante fragilité mentale à croire qu’un évènement n’arrivera jamais car sa survenue aurait des conséquences si considérables que nous refusons même de les imaginer.
Fin 1932, qui imaginait qu’un obscur autrichien, peintre de médiocres aquarelles, mette à feu et à sang le mode entier ? Pourtant, l’année d’après, cet effrayant cygne noir a pris le pouvoir et ne l’a quitté qu’en se suicidant à la fin d’une guerre mondiale qui fit plus de 60 millions de morts.
Début mars 2011, personne ne pensait qu’une catastrophe telle que Fukushima puisse arriver. Les jours suivants, les combustibles de 4 réacteurs entraient en fusion à cause d’un impensable tsunami, cygne noir venu du fond des mers.
Au début de l'année dernière, on s’amusait à l’idée qu’un bonimenteur rougeaud et milliardaire, parfaitement inculte, amateur de catch et de concours de miss Univers puisse être le 45ème Président des Etats-Unis. Totalement ridicule, n’est-ce pas ? Or le 8 novembre Trump a été élu à la stupéfaction du monde entier, gagnant de surcroît l’élection par un hold-up électoral légal avec 2,86 millions de voix de moins que sa concurrente.
Au moment même où il faudrait agir avec un extraordinaire volontarisme et une parfaite coopération entre tous les peuples pour faire face aux immenses défis qui nous attendent, l’arrivée de ce cygne noir risque de nous faire perdre, après les Bush père et fils, les cinq voire dix ans qui viennent.
Sur le plan climatique ce serait une catastrophe. Nous ne pouvons attendre : l’effet de serre est un problème cumulatif, c’est-à-dire que le cumul dans l’atmosphère des gaz à effet de serre est le facteur essentiel de l’évolution à venir du climat. C’est que l’on appelle notre budget-carbone, la quantité de gaz à effet de serre que l’on peut encore s’autoriser à émettre pour maintenir l’élévation la température en dessous de +2°C, seuil au-delà duquel les conséquences sur le climat peuvent être irréversibles.
Ne rien faire, ou même simplement se contenter de stabiliser les émissions, ampute chaque année ce budget-carbone mondial, réduisant ainsi la part de ce que nous pouvons nous permettre d’émettre jusqu’à la fin de ce siècle. Il est donc essentiel d’agir très vite pour limiter ce cumul des émissions : nous n’avons en réalité qu’une vingtaine d’années devant nous pour diviser par trois les émissions mondiales de CO2, tout en se fixant comme objectif de les réduire à zéro vers la moitié de ce siècle.
Or « Le Donald », comme disent par dérision les américains, ne comprend dans le mot « cumul » que l’accumulation immédiate de sa propre richesse, de ses hôtels de luxe et de son train de vie caricatural. Acteur durant des années de reality show, la réalité physique - fusse-t-elle incontournable - lui est parfaitement étrangère …
Ce cygne noir aux cheveux jaunes a un nom de canard grotesque, Donald. Cela prêterait à sourire si nous n’étions pas les dindons de cette très mauvaise farce.
Thierry Salomon
20 Janvier 2017
Billet d'humeur à paraître dans la revue "La Maison Ecologique" n° 97 le 26 janvier 2017