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Billet de blog 1 septembre 2025

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BdB #11 : la justice brésilienne face à la tentative de coup d'Etat

Ce mardi 2 septembre débute le jugement, par le Tribunal Suprême Fédéral brésilien, de Jair Bolsonaro et de 7 autres accusés pour tentative d'abolition violente de l'Etat démocratique et de droit. L'occasion pour moi de revenir en détail sur le projet de coup d'Etat orchestré par l'ancien président lui-même.

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Illustration 1
Jair Bolsonaro risque 46 années de réclusion criminelle pour, entre autres, tentative d'abolition violente de l'Etat démocratique de droit © G1

Dimanche 8 janvier 2023, 15h00 : des militants bolsonaristes radicaux envahissent le Congrès, le Palais du Planalto (bureaux de la présidence) et le Tribunal Suprême Fédéral (TSF), tous situés sur la Place des Trois Pouvoirs, à Brasilia, capitale du Brésil. Avec la complicité des forces de sécurité présentes sur place et du gouvernement du District Fédéral, les terroristes pénètrent dans les bâtiments et saccagent tout (voir mon précédent billet à ce sujet).

Dès le lendemain, la Police Fédérale mène plusieurs enquêtes afin de déterminer les instigateurs de l’attaque et l'identité de ses participants. De fil en aiguille et de témoignages en témoignages, elle parvient à prouver que le 8-janvier était censé être le bouquet final d'un projet de coup d'Etat, orchestré par Jair Bolsonaro lui-même, une partie de l'armée ainsi qu’une poignée de proches collaborateurs. 

La chronologie du coup d’Etat

« Un coup d’Etat ne se fait pas en un jour », a déclaré la ministre Carmen Lucia au printemps dernier lorsqu'elle s'était pronnoncée en faveur de l'inculpation de l'ancien président d'extrême droite pour tentative d’abolition violente de l’Etat de droit. Il est intéressant de voir que le Procureur Général de la République (PGR), Paulo Gonet, considère que le projet de coup d’Etat date en réalité de 2021. En effet, cette année-là, Lula est blanchi par le TSF de toutes ses accusations et retrouve ses droits politiques, dont sont éligibilité. Très inquiets par un potentiel retour dans l'arène de l’ancien syndicaliste, Jair Bolsonaro et ses plus proches collaborateurs (voir la liste plus bas) commencent à s’organiser afin de court-circuiter le système électoral brésilien. Leur tactique principale ? Divulguer ad nauseam des fausses informations sur les urnes électroniques pour d'une part délégitimer tout résultat électoral qui lui serait défavorable et, d'autre part, pour de créer les conditions propices à la destitution du gouvernement élu. Dès juillet 2021 — soit un an avant le début de la campagne présidentielle — Jair Bolsonaro publie sur ses réseaux sociaux une vidéo filmée depuis son bureau dans laquelle il critique le système électronique de vote et exalte les forces armées. Durant ses nombreuses apparitions en public, il répète ce même narratif — en ne manquant jamais de critiquer le TSF.

Néanmoins, le 5 juillet 2022 semble être, pour le PGR, une date clef. Jair Bolsonaro évoque lors d'un conseil des ministres filmé son projet de coup d'Etat en cas de victoire du camp luliste ; projet en grande partie validé par ses principaux collaborateurs [1]. Une dizaine de jours plus tard, lors d’une rencontre officielle avec les ambassadeurs étrangers au Brésil, le président d’extrême droite attaque (encore une fois) le système électoral brésilien et affirme que les urnes électroniques ne sont pas fiables ; malgré de nombreuses études prouvant le contraire. 

Défait aux élections d’octobre malgré sa tentative d’empêcher les Nordestins de voter (voir mon billet précédent), Jair Bolsonaro passe à la vitesse supérieure. Révoltés par l’échec de leur candidats, les bolsonaristes les plus radicaux se rassemblent dès le 1er novembre face aux QG des forces armées pour contester les résultats et appeler à une intervention militaire. Le général Mario Fernandes, secrétaire-exécutif de la Présidence de la République, tire des selfies avec les militants d’extrême-droite. Huit jour plus tard, ce dernier créé sur son ordinateur de fonction au Palais du Planalto un document appelé « Planejamento - Punhal Verde Amarelo » (Planning - Poignard Vert Jaune en français) qui, selon la Police Fédéral, planifiait la séquestration et l’assassinat de Lula et de son vice-président Geraldo Alckmin. De novembre à décembre, les réunions — tenues secrètes — s’organisent entre Jair Bolsonaro et ses alliés au sein de ses résidences officielles. Le 7 décembre, le président déchu accueille les commandants des Forces Armées et présente une ébauche d’un décret promulguant l'État de siège. Deux jours plus tard, il reçoit de son ancien collaborateur Felipe Martins  l’ébauche du coup d’Etat (minuta do golpe) qui prévoyait la prison d’Alexandre de Morais et de Gilmar Mendes (TSF) et du sénateur Rodrigo Pacheco, alors président du Sénat. Le même jour, le général Estevam Cals Theóphilo Gaspar de Oliveira, ex-chef du Commandement des Opérations Terrestres de l’armée assure au Palais de l'Aurore son soutien à Jair Bolsonaro. 

Le 6 décembre, le planning Poignard Vert et Jaune est imprimé depuis les imprimantes des bureaux de la présidence. A peine dix jours plus tard a lieu la tentative avortée d’assassinat d’Alexandre de Morais par les « Kids Pretos », les tireurs d’élite des forces armées. Le 30, Jair Bolsonaro s’envole, avec son épouse, pour les Etats-Unis. Il ne participera pas à l’investiture de Lula, prévue le 1er janvier. Et une semaine plus tard, la Place des Trois Pouvoirs est envahie. Le coup d’Etat échoue et sa trame est découverte par la PF.

Les raisons d’un échec

Bon, on va pas se mentir : filmer une réunion où l’on discute ouvertement de la préparation d'un coup d’Etat, créer un tableau Excel qui explique étape par étape comment on va assassiner le président de la République et l'imprimer depuis son lieu de de travail, c’est pas très fut fut. En dehors de ces preuves d'incompétence, nous devons l’échec de ce coup d’Etat ... à l’armée. En effet, une partie de l’Etat-Major — dont le général Gomes Freire de l’armée de Terre et le lieutenant-brigadier Almeida Baptista Junior de l'Aéronautique —, a refusé de prendre part à ce projet autoritaire et n’ont pas cédé aux pressions et aux intimidations quotidiennes venant de leurs collègues ; le rapport de la PF soulignant même leur attachement et leur fidélité aux valeurs de l’Etat démocratique de droit. Cette donnée permet d'illustrer deux choses : d’une part, les rapports parfois conflictuels de Jair Bolsonaro avec les forces armées, dont lui-même a fait partie et dont il s’est fait pendant trente ans l'un des principaux porte-parole au sein de la Chambre des Députés. D’autre part, la diversité des opinions au sein de ce milieu qui, bien que marqué par le conservatisme et l’attachement à l’autorité et à la hiérarchie, n’est pas nécessairement favorable à l'autoritarisme.

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L'amiral Almir Garnier, Jair Bolsonaro et son ancien ministre Walter Braga Netto, trois figures centrales de la tentative de coup d'Etat © Itatiaia

Les terroristes du 8-Janvier lourdement condamnés

Retrouver les terroristes des attaques du 8-Janvier semblent avoir été relativement aisé non seulement en raison des nombreuses archives disponibles (caméra de surveillance, vidéos prises par les casseurs eux-mêmes et publiés sur leurs réseaux sociaux), mais aussi grâce aux empreintes digitales laissés sur place (et oui…) et aux messages envoyés sur les boucles Whatsapp ou Telegram. Au total, ce sont 1 198 individus qui ont été « responsabilisés » par le rapport d'accusation du Procureur Général de la République, Paulo Gonet. En juillet 2025, le Tribunal Suprême Fédéral a jugé le sort de pas moins de 643 terroristes accusés d’« abolition violente de l'État Démocratique de droit », « dommages qualifiés »  et « détérioration de patrimoine classé » ; avec des peines très variables allant de trois à dix-sept ans de prison. Maria de Fátima Mendonça Jacinto Souza, plus connue sous le nom de Fatima Tubarao, 67 ans, a ainsi été condamnée à la peine maximale pour avoir « tout cassé » (selon ses propres dires !) dans le Palais du Planalto.

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Fatima Tubarao, 67 ans, l'un des visages des attentats du 8 Janvier 2023, condamnée à 17 ans de réclusion criminelle. © G1

555 d’entre eux, qui étaient présents ce jour-là mais qui n’ont pas participé directement au saccage, ont vu leur peine commuée en travaux d’intérêt général, en amande ou en restrictions de certains droits. La majorité des accusés ont été condamnés à un an de prison ferme et une centaine à quatorze ans de réclusion criminelle.

Très vite, les sphères bolsonaristes ont dû trouvé des « narratifs » pour à la fois minimiser la gravité des attaques et délégitimer ces lourdes condamnations. L’un d'entre eux consistait à présenter les terroristes du 8-Janvier comme un groupe de « petites vieilles avec une Bible dans la main »,venues à Brasilia pour une pacifique promenade dominicale. Or, selon le ministre du TSF Alexandre de Moraes, « cette histoire qui a été inventée et qui se répète, à travers des informations frauduleuses, les réseaux sociaux et les fake news, selon laquelle il s'agirait de femmes et de femmes âgées, est totalement mensongère ». Durant l’audience de mars dernier qui a permis l’inculpation de Jair Bolsonaro et de sa bande, celui-ci a passé plusieurs minutes à déconstruire ce narratif de manière à la fois claire et didactique, preuves statistiques à l’appui : 

  • 32% des terroristes condamnés sont des femmes, et donc 68% sont des hommes.
  • 454 (91%) sont âgé-es de moins de 59 ans ; 
  • 36 (7%) ont entre 60 et 69 ans ; 
  • 7 (2%) ont entre 70 et 75 ans.

Si tous les ministres du TSF se sont accordés sur la culpabilité des accusés, Luiz Fux et Cristian Zanin ont remis en cause l’échelle de certaines peines jugées parfois trop sévères. C’est le cas de celle de Déborah Rodrigues, condamnée à quatorze ans de prison pour avoir tagué avec son rouge à lèvre « Perdeu mané » (« T’as perdu mec ») sur la statue (classée patrimoine historique) trônant face au TSF.

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Deborah Rodrigues (aka "Deborah du rouge à lèvres"), "graffeuse" condamnée à 14 ans de prison © G1

L’inculpation du noyau dur du coup d’Etat

Seulement, les terroristes du 8 janvier 2023 n’étaient que la partie submergée de l’iceberg. Le 21 novembre 2024, la Police Fédérale (PF) annonce qu’une quarantaine individus — dont l’ancien président d’extrême-droite, son ancien ministre de la Défense le général Braga Netto, son ancien chef du Cabinet de Sécurité Institutionnelle le général Augusto Heleno, l’ancien directeur de l’Agence Brésilienne du Renseignement Alexandre Ramagem ainsi que le président du Parti Liberal, Valdemar da Costa Neto — font l’objet d’une enquête. Sa conclusion de l’enquête indique l’existence d’une « organisation criminelle qui, en 2022, a agi de manière coordonnée afin de maintenir le président de la République [Jair Bolsonaro, ndlr] au pouvoir ». Au total, la PF dénombre 6 « noyaux » qui se sont articulés pour tenter de mettre un terme à l’Etat de droit : 

  1. Le noyau de la Désinformation et d’Attaque au système électoral, dont le but était de diffuser un maximum de fausses informations sur les urnes électroniques et le processus électoral ;
  2. Le noyau de recrutement des militaires au projet de coup d’Etat, dont le but était de cibler les militaires qui pourraient y adhérer et attaquer ceux qui s’y opposait ; 
  3. Le noyau juridique, chargé d’élaborer des ébauches de décrets justifiant le coup d’Etat en mobilisant des arguments juridiques et doctrinaires. L’ancien ministre de la Justice Anderson Torres le supervisait ; 
  4. Le noyau opérationnel de soutien, chargé de maintenir les manifestations pro-Bolsonaro devant les QG de l’armée et de la mobilisation et du financement des forces militaires spéciales (kids pretos), chargées d’assassiner Lula, Alckmin ou Alexandre de Morais ;
  5. Le noyau des renseignements parallèles, chargé de la collecte de données qui pourraient faciliter le coup d’Etat et de la surveillance des trois cibles principales, citées précédemment.
  6. Le noyau opérationnel de mesures coercitives, chargé d’éliminer les adversaires du coup d’Etat.

Au printemps 2025, le Procureur Général de la République (PGR) accuse dans un document de 300 pages Jair Bolsonaro et sept autres collaborateurs de cinq crimes : abolition violente de l’Etat démocratique de droit ; coup d’Etat ; organisation criminelle ; dommages qualifiés au patrimoine de l’Union ; détérioration du patrimoine classé. 

Le 26 mars, les juges du Tribunal Suprême Fédéral acceptent la dénonciation du PGR et ont voté à l'unanimité le statut d’accusé (reu) de :

  • Jair Bolsonaro, ancien présisdent de la République
  • Almir Garnier, ex commandant en chef de la Marine
  • Alexandre Ramagem, ex-directeur de l’Agence Brésilienne de Renseignement (la DGSI/DGSE brésilienne)
  • Anderson Torres, ex-ministre de la Justice
  • Augusto Helelno, ex-ministre du Cabinet de Sécurité Institutionnelle
  • Mauro Cid, ex officier d'ordonnances de Bolsonaro
  • Paulo Nogueira, ex-ministo de la Défense
  • Braga Netto, ex ministre de la Maison Civile.

S’appuyant sur des documents de l’investigation policière ainsi que sur les images et les vidéos du 8 janvier 2023, chaque des cinq ministres ont dû justifier, parfois durant de longues heures, les raisons de leur vote. 

Dans un argumentaire de près de deux heures, le ministre Alexandre de Morais (et également rapporteur) a affirmé que Jair Bolsonaro était à la tête d’une structure criminelle qui mobilisent les fausses informations sur le système électoral pour instiguer un coup d’Etat ; que l’invasion de la place des Trois Pouvoirs n’était en aucun cas une promenade domincale au parc ; que Bolsonaro, après son échec, à inciter les militaires à maintenir les manifestations devant les QG et que l’ancien président a amendé lui-même le projet de coup d’Etat.

La ministre Carmen Lucia, citant l’historienne Heloisa Starling, a souligné qu’un coup d’Etat ne se fait pas en un jour, qu’il est nécessaire de voir le projet bolsonariste sur le temps long et rappelé une évidence : « La dictature tue. La dictature vit de la mort, non seulement de la société et de la démocratie, mais aussi des êtres humains de chair et d’os ».

En juillet 2025, dans un document de plus de 500 pages, le PGR défend la condamnation à 46 années de réclusion criminelle pour Jair Bolsonaro ; soit la peine maximale prévue par la loi brésilienne. 

Le jugement final du TSF est attendu vendredi 12 septembre, après quatre jours de discussions qui vont s'avérer aussi historiques qu'haletantes.


Notes de bas de page : 

[1] L'archive vidéo de cette réunion a été trouvée par la police sur l’ordinateur de Mauro Cid (officier d’ordonnance de Bolsonaro), lui aussi inculpé mais qui a décidé, envers et contre tout, de révéler de précieuses informations en échange d’une réduction de peine. Cet accord de plaider-coupable a été très mal vu au sein de l'armée (dont font partie Bolsonaro et Cid), milieu célèbre pour son esprit de corps.

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