Bolsonaro perd les élections
Le 30 octobre 2022 au soir, le Brésil respire à nouveau : après avoir quitté le pouvoir en 2012, Lula est (ré)élu président de la République avec près de 51% des voix, contre 49% pour son adversaire, Jair Bolsonaro. Un soulagement pour beaucoup de Brésilien-nes, éprouvés par la pandémie et le bilan catastrophique du leader d’extrême droite sur tous les niveaux (voir mon Billet du Brésil #2 à ce sujet). Une terrible nouvelle pour d’autres, qui ne peut s’expliquer que par un mésusage des urnes électroniques en faveur du candidat de gauche — c’est en tout cas les éléments de langage du camp réactionnaire. Dans son rapport, le ministère de la Défense finira par avouer qu’il n’y avait eu pourtant aucune fraude.
Face à la victoire incontestable du candidat du Parti des Travailleurs (PT), les rats quittent un par un le navire bolsonariste qui est en train de sombrer. D’abord les leaders des églises évangéliques, qui reconnaissent Lula comme président élu du Brésil. Ensuite les figures de proue du gouvernement d'extrême droite, comme Tarcisio de Freitas (actuel gouverneur de l’Etat de São Paulo et ancien ministre des Infrastructures), dont nous reparlerons plus tard. Selon les dires de Silas Malafaia, pasteur-milicien pentecôtiste à la tête du réseau d'églises évangéliques et proche du clan Bolsonaro, Jair n'a pas arrêté de pleurer après après la défaite. Acculé par la défaite, le capitaine Bolsonaro a donc fait ce qu’il sait mieux faire : prendre la poudre d’escampette et fuir lâchement vers les Etats-Unis. A l’image de son ancien vice-président, le général Hamilton Mourão, l’ancien chef de l’Etat ne participera pas à l’investiture de son successeur, prévue comme à l'accotumée le 1er janvier 2023.
Opérations "blitz" dans le Nordeste
Au-delà de se caractériser par une flambée de la violence électorale, les élections de 2022 ont été un terrain d'expérimentation pour des opérations anti-démocratiques menées le jour du second tour. Depuis les années 2000, les Etats du Nordeste (les plus pauvres de la Fédération) votent traditionnellement — et massivement — pour le PT, tandis que ceux du Sud sont acquis au camp conservateur. Le jour du second tour, la Police Fédérale Routière (PRF), connue pour être un vivier bolsonariste au sein des forces de sécurité, mène dans le pays des opérations « blitz » pour paralyser le trafic et, à terme, faire obstacle aux électeurs désireux de se rendre à leurs bureaux de vote. Près de 2200 bus sont ainsi fiscalisés dans le Nordeste contre 571 dans le Sudeste. Une enquête est menée pour savoir si ces manoeuvres visaient à empêcher l’électorat de Lula de voter dans les zones où ce dernier caracolait dans les intentions de vote. Patron de la PRF ayant affiché son soutien au candidat Bolsonaro sur ses réseaux sociaux, Silvanei Vasques est incarcéré préventivement en août 2023 en raison des risques élevés « d’interférences » dans les investigations de la Police Fédérale (PF). Selon les éléments de l'enquête, Vasques et l’ancien ministre (bolsonariste) de la Justice Anderson Torres se seraient rencontrés le 19 octobre 2022 pour planifier ces barrages routiers. Proche collaboratrice du Garde des Sceaux brésilien, Marilia Ferreira lui aurait par ailleurs transmis un tableau Excel avec les municipalités où Lula avait reçu plus de 75% des suffrages exprimés au premier tour.
La "conquête du pouvoir" du 8 janvier 2023
Après les élections, plusieurs milliers de bolsonaristes radicaux insatisfaits des résultats « campent » devant les quartiers généraux de l’armée de plusieurs grandes villes. Entre deux prières et quelques intonations de chants patriotiques, ils demandent aux forces de sécurité d'intervenir et de prendre le pouvoir. Si ces rassemblements ont pu offrir au monde des images absoluments délirantes qui portent à sourire (voir cette étrange ronde de bolsonaristes chantant l'hymne national autour d'un pneu, ou encore de ce militant agrippé à l'avant d'un camion qu'il ne voulait pas laisser passer), ils sont à la base de l’invasion terroriste de la Place des Trois Pouvoirs du 8 janvier 2023. Peu de temps après l’investiture de Lula, le 1er janvier, des articles de presse faisaient déjà par de leur inquiétude : le 3 janvier, une journaliste de Brasil 247 faisait déjà état d’un projet de « conquête du pouvoir » (tomada do poder) planifié le 8 janvier par un certain Mouvement Brésilien Vert et Jaune (MBVJ) sur les réseaux sociaux. Ses fondateurs ? Des producteurs de soja du Centre-Ouest et Sud brésiliens, deux régions électoralement favorable à l’extrême droite. La journaliste indique que l’acte prévu avait pour objectif de relancer la mobilisation des quartiers généraux, qui commençait à s'essouffler après l'investiture officielle de Lula.
Le 8 janvier, donc, des centaines de bus convergent donc vers la capitale fédérale, Brasilia. L’Advogacia Geral da Uniao (AGU) — l'institution chargée de la représentation, de la surveillance et du contrôle juridiques de l'Union et de la République fédérative du Brésil —, suspecte 52 individus et 7 entreprises d’avoir financer le déplacement de militants bolsonaristes radicaux (pour la plupart venant du Sud et du Sudeste). Dans les pages de son rapport publié en partie par le média Brasil 247, l’Agence Brésilienne de Renseignements (ABIN) énonce tous les noms et prénoms des militant-es bolsonaristes ayant participé aux voyages affrétés, ainsi que leurs gares de départ. On y retrouve des professionnels de la santé (médecins, vétérinaires, dentistes…), des professeurs ainsi que des petits-entrepreneurs ou des conseillers municipaux. Au total, ce sont près de 4000 militants radicaux qui auront fait le déplacement.

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Comme chaque année avant le carnaval, la vie politique est à l’arrêt pour quelques semaines à l’occasion des vacances d’été. Avec l’évidente complicité des pouvoirs locaux (dont du gouverneur du District Fédéral, Ibanez Rocha, et le chef de sa Police Militaire, Rafael Martins), les terroristes ont pu envahir et saccagé aux alentours de 15 heures les locaux du Congrès et du Tribunal Suprême Fédéral (TSF) ainsi que le Palais du Planalto, bureau de la présidence. Heureux hasard du destin, le président Lula était ce jour-là en déplacement officiel à Araraquara, dans l'Etat de São Paulo. Comme nous le verrons après, ce voyage lui a sans doute sauvé la vie.
En vertu de l’article 34 de la Constitution, Lula décrète le 8 au soir depuis Araraquara une intervention fédérale à Brasilia (validée par le Congrès) sous l’égide de Ricardo Capelli, alors secrétaire-exécutif du ministère de la Justice. Jusqu’au 31 janvier, l’autorité du District Fédéral n’est plus dans les mains de son gouverneur Ibanez Rocha, mais du pouvoir exécutif. Anderson Torres, secrétaire à la Sécurité Publique du District Fédéral et ancien ministre de la Justice, est démi de ses fonctions par le gouverneur précédemment cité ; qui lui sera écarté pare le TSF de ses fonctions pour 90 jours pour sa flagrante (et volontaire?) inaction face aux attaques. Résultats des courses : 243 terroristes sont interceptés dans les bâtiments de la Place des Trois Pouvoirs par la PF, et plus de mille bolsonaristes campant face au QG de l’armée à Brasilia sont eux aussi attrapés au vol et mis en détention provisoire.
Le patrimoine historique et culturel visé
Les images mais surtout les vidéos, provenant à la fois des caméras de surveillance des bâtiments et des terroristes eux-mêmes, sont révélatrices du sentiment (éphémère) de toute puissance mais surtout d’impunité des casseurs et des casseuses. Leurs archives personnelles, passées aux cribles par la Police Fédérale ont permis, dans un jeu d’arroseur arrosé, l’identification de la majorité d’entre eux et d’entre elles. Si le bilan humain de l’invasion est nul, le bilan matériel, lui, est préoccupant. Sans doute poussés par un sentiment d'impunité et de toute puissance, les terroristes ont délibérément volé, endommagé et détruit de nombreux meubles, objets et oeuvres d’art classées patrimoine historique. A titre d’exemple, on peut citer une horloge de la cour de Louis XIV, un vase millénaire de la dynastie Chang, le bureau de travail du président Kubitschek (fondateur de Brasilia), de nombreuses statues, bustes et tableaux et même un exemplaire original de la Constitution de 1988, volé puis retrouvé plus tard. Au lendemain des attentats, la ministre de la Culture Margareth Menezes a organisé une rréunion spéciale avec l’Institut du Patrimoine Historique et Artistique National (IPHAN) afin de répertorier le désastre et sauver ce qui était sauvable. Une collaboration étroite s’engage entre les restaurateurs brésiliens et l’UNESCO. L'artiste Vik Muniz offr au Sénat une surprenante oeuvre d'art (voir ci-dessous) créée à partir des débrits des attentas récoltés sur le sol du Congrès, que l'on peut par ailleurs admirer lors des visites guidées gratuites organisées par le Parlement.

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Le début de longues investigations...
Le 12 janvier, la PF trouve dans la maison d’Anderson Torres la « minuta do golpe » (ou ébauche du coup d’Etat). Ce document ouvre un long chapitre de l’histoire judiciaire brésilienne et mènera, de fils en aiguilles et de témoignages en témoignages, à la découverte d’un véritable plan de destruction de l’Etat démocratique et de droit, chapeauté par l'ancien président de la République lui-même.
Dans le prochain billet, je reviendrai en détail sur ce coup d'Etat heureusement raté, fomenté par l’ancien président Jair Bolsonaro et ses proches.