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Billet de blog 5 janvier 2023

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Salaud de pauvre ! Sobriété énergétique, toi tu connais !

L’Energie est un bien commun. Ne laisser pas les lobbies se gaver sur notre dos ! Alors vient le temps de la lucidité.  Nous avons compris ! Mais qui règlera les cœurs cassés, les gens meurtris, les esprits vidés? Je vous demande de nous regarder, nous le peuple qui vous a mandatés. Votre peuple souffre, votre peuple est meurtri, votre peuple a faim, votre peuple a froid !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Saluer, me présenter. 

Remerciements aux Députés d’être présents. Merci de me permettre de prendre la parole. 

Je souhaitais intervenir afin de vous exposer mon quotidien professionnel. L’idée n’est pas de vous faire pleurer mais de vous dire ce que je fais et ce que je vis. J’évoquerai des situations réelles et vécues en changeant les noms.

Orne Services dont le siège est à Moutiers porte depuis 2006 un chantier d’insertion basé à Jarny. Notre structure vise l’inclusion des personnes en difficultés. Crée en 1993, Orne Services avait pour objectif de reboiser les friches industrielles laissées par la sidérurgie à Homécourt. 

Notre champ d’intervention est l’insertion des personnes défavorisées. Nos missions sont l’ASP des salariés accueillis. Publics éligibles selon des critères définis par l’Etat (chômeur longue durée ; ARSA, jeunes de  moins de 26 ans, etc). Les objectifs étaient fixés pour remettre dans le monde du travail les personnes éloignées de l’emploi. 

En poste depuis plus de 20 ans, ma tâche se complexifie d’année en année. Pourtant les avancées de « l’ingénierie sociale », s’orientent de plus en plus vers le tout numérique ? Ils disent que le social doit se moderniser à grands coups d’applications. Le numérique viendrait régler comme par enchantement toutes les difficultés des personnes. Les starts-up en veux-tu en voilà inventent des applications destinées à rassembler des données que nous complétons, qui s’en vont on ne sait où. De superbes applications avec de jolis noms « Le titanic ». Nous voilà embarqués dans les méandres de la saisie industrielle. Pourtant l’ingénierie n’avait pas prévue qu’il fallait un certain temps, un certain talent pour : ouvrir des droits, pour s’actualiser, pour s’inscrire DDE, pour l’octroi de la prime d’activité. Etc...

Après la crise sanitaire nous voyons des personnes sans visage qui tentent d’entrer sur nos chantiers. Ces sans visage sont des soignant.e.s (aide-soignantes, aides à domiciles, ambulancier.es etc…).

Enfin, les évincés.e, les sans droits, les riens, les loin-du-monde-d’après, les parias.

Grand hic ! Ils sont diplômés, pas de statut donc pas éligibles ! Alors pas de droits !

Et passe ta route, sous-citoyen, je ne peux rien faire pour toi !

Juste me joindre au cri de : Réintégrez les soignants sans condition !

Puis un autre monde s’est dessiné. 

Voilà le monde d’après. 

T’es pauvre, calme toi, ça va aller. 

Tu n’as qu'à manger un repas par jour ! 

Tu feras une douche par semaine si tu as de l’eau ! 

Tu te chaufferas avec des couvertures en carton, ou pas ! 

Salaud de pauvre ! Sobriété énergétique, toi tu connais ! 

Y a longtemps qu’ils sont sobres, y a longtemps qu’ils ‘baissent, qu’ils éteignent, qu’ils décalent'. 

C’est connu les pauvres gaspillent l’énergie, ils se chauffent à 16°. Eux ont compris depuis longtemps qu’il faut faire des efforts ! Le pire c’est qu’ils roulent au gasoil. 

Il y a même ceux qui ne roulent pas ou alors en trottinette ; eux, ne consomment pas de CO2. Leur vie ne tient que sur un fil, s’ils ne se font pas faucher par un chauffard pressé, un de ces 4 matins, sur la route en allant au travail… Les plus rusés, eux roulent dans les côtes, au point mort ! 

Le monde d’après c’est aussi l’inflation ! 

Augmentation des prix, les denrées alimentaires. 

« Madame, vous n’avez pas un casse-croûte ? » 

Je n’ai rien mangé depuis hier. Je suis hébergé en logement d’urgence et la cuisine est fermée ce matin ». 

On règle les problèmes à coup de jambons-beurre et ça passe ! 

Madame, il s’est perdu, il s’évade et déambule sur le chantier. Mais où es-tu ? « Il est malade a pris trop de drogue ». Mais trop jeune pour être dehors. 

Illustration 1
La pauvreté en France, un fléau grandissant © La voix du nord

Elsa, elle, a été violée par son papa. Toute son enfance a été perturbée. Elle n’a pas pu aller à l’école. A 17 ans, elle a franchi la porte du chantier. « J’veux travailler Madame ». Mais tu es mineure ? « Je dois trouver un logement car ma maman est partie avec son copain et nous a laissés tout seuls mon grand frère et moi ». A 18 ans, elle est recrutée. J’exige de voir la maman. Voir à quoi elle ressemble cette dame qui s’en va. Pourquoi elle quitte ses enfants. La rencontre a lieu. La maman m’informe qu’à 50 ans elle doit refaire sa vie et qu’elle-même avait aussi quitté ses parents à 18 ans pour suivre son ami. Elsa n’a rien compris, elle baisse la tête. 4 mois après elle a abandonné son parcours professionnel. C’était trop tôt sans doute.

Le 03 novembre, un de nos collègues a rejoint les cieux. Comme ça, sans rien dire, sans faire de bruit, à pas feutrés. Faut dire qu’il n’était bavard ! Un soir, à 53 ans, il a eu mal aux dents et aux jambes. «Sandrine son épouse a alerté les secours qui tardaient à venir ». Pourtant, il avait mal et criait « mais appelle les secours dépêche-toi ». Sandrine a rappelé une seconde fois « Alors, où êtes-vous, mon mari a mal, que faites-vous ? ». 

Les pompiers débarquaient quarante cinq minutes après. Trop long, peut-être, sans doute ! Direction les urgences de Briey, Sandrine n’a plus revu son mari vivant. Elle dit qu’elle aurait dû appeler le SAMU, mais qu’elle ne le savait pas. Le ciel lui est tombé sur la tête, elle n’a pas eu le temps de faire ouf ! 

Son époux venait tout juste d’intégrer le chantier d’insertion. Tout heureux de me dire qu’il gagnait un peu mieux sa vie. « J’suis content Madame de travailler. Ça va maintenant, je gagne bien ! ». Il était sans emploi depuis 2009, au RSA. Depuis son embauche il cumulait durant 3 mois prime d’activité et salaires, juste un petit SMIC. Mais ça faisait longtemps qu’il n’avait pas gagné autant d’argent. 

Est venu le temps des obsèques ! L’église était vide. Pas de grande cérémonie. Un diacre avait pris la peine de venir faire la messe funèbre. Un dernier hommage a été rendu. « Monsieur a retrouvé un peu de dignité avec ses collègues de travail, merci à l’association » a-t-il dit. 

Les bancs étaient vides. 

Tout respirait la pauvreté. 

Pas de costume, pas d’habits pour la circonstance. 

Des cheveux gris jaunis, gras, des vêtements peu clairs, des soupirs blasés. 

Dans le fond de l’église, un homme ivre vociférait. Il a fallu lui demander de sortir.

Après la cérémonie, le diacre m’a interpellée en me demandant de m’occuper de la veuve. Perdue Sandrine m’a dit « Madame, je n’ai rien compris. Il est mort, trop tôt, il était trop jeune. Madame c’est venu comme ça. C’était mon homme et je l’aimais bien ! ». Avec ces mots elle a quitté l’église en me confiant ses documents qu’elle avait entassés dans son sac. J’entame le parcours du combattant. Des démarches fastidieuses, car Sandrine ne comprend pas et n’a pas d’ordinateur et d’ailleurs elle ne saurait pas s’en servir. 

Puis les prix des énergies qui s’envolent aussi. Alors on essaye de régler le problème on propose un peu de chauffage pendant l’heure de la pause déjeuner. Une heure pas plus, ça coûte trop cher !

Le 02 décembre, vient l’arrêté préfectoral interdisant de vendre des bouteilles de gaz, bidons carburants, en Meurthe-et-Moselle et Moselle. Coup de flippe ! Comment faire pour faire fonctionner nos machines, débroussailleuses ? continuer nos activités ? Un peu comme si le temps s’arrêtait brusquement ! Histoire de restreindre, pas de contraindre ! Sauf que quand y en plus, y en a plus ! Heureusement y a le Luxembourg ! 

L’Energie est un bien commun. Ne laisser pas les lobbies se gaver sur notre dos !

Alors vient le temps de la lucidité. 

Nous avons compris ! 

Mais qui règlera les cœurs cassés, les gens meurtris, les esprits vidés, les bannis de la société ?

J’ose espérer qu’il existe encore une lueur au bout du tunnel ! 

Alors, je vous demande de nous regarder, nous le peuple qui vous a mandatés. 

Votre peuple souffre, votre peuple est meurtri, votre peuple a faim, votre peuple a froid !

Merci 

Silence. Applaudissements. Emotions. On essuie des larmes. 

Intervention de Houria Moulaï, directrice de l’Association Orne Services 

Lors du Meeting de François Ruffin à Longwy (décembre 2022)

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