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Billet de blog 25 octobre 2008

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Mon pull coloré de presque 100 ans.

 J’ai passé une journée sur internet sur les traces d’un peintre-photographe Austro-hongrois et sa famille. Je suis épuisée.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’ai passé une journée sur internet sur les traces d’un peintre-photographe Austro-hongrois et sa famille.

Je suis épuisée.

L’internet est un outil merveilleux mais en même temps terrible !

Ça ressemble à un grand labyrinthe où on ne perd son chemin, où on perd le nord. Le nord, du cheminement des pensées.

De Wiki en Wiki on s’égare et dès que l’on croise le premier chemin de traverse de cette toile infinie, toute pensée linéaire devient impossible. L’étendu des chemins du web, me font souvent douter de mes capacités et craindre que ma structure mentale ne soit pas adaptée au travail de recherche sur ce média. Parfois, au bord de l’internet j’ai le vertige ;… je m’égare, je confonds, je doute… Où ai-je vue ceci, quelle était la page, la fenêtre….je me perds dans ma propre tête.

A force, il ne m’est plus possible de transcrire et d’écrire comme avant. C’est comme si mes pensées s’ouvrent aux quatre vents. Il n’y a plus de structure. Ca part dans tous les sens. Il y a trop de pensés en même temps.

L’internet modifie notre cheminement dans l’histoire. Quand on navigue sur le web c’est comme si, à travers des plafonds qui cèdent, on « tombe » d’une histoire dans une autre, voyageant ainsi sans cesse dans l’espace et dans le temps.

Et puis c’est commode : le net comble les lacunes, retrouve les histoires perdues, raccommode les omissions. Il vient renforcer les mémoires défaillantes, vivantes ou non, auparavant seulement partagés par une élite ou un groupe limité. Que les informations se basent sur des historiettes, des « on-dits » ou sur des éléments de référence vérifiables, peu importe. L’internet tricote un grand pull coloré plus beau que nature pour le monde entier. D’anecdote en anecdote de famille en famille.

Il y a une publicité à la télévision, sur une assurance :

Dans ce spot publicitaire le regard rentre dans des photos qui ensuite s’animent. On chemine d’époque en époque, de génération en génération. Comme dans un rêve les générations se suivent, souriant, se tendent la main, se touchent, se voient.

Quand je rends visite à mon amie, il se passe quelque chose comme ça.

Quand je viens la voir, toute petite à presque cent ans, dans son appartement de la vieille ville où elle habite depuis plus de 65 ans, je remonte le temps plus loin que notre amitié, comme dans un film, mais un film vrai. Chez elle tout est comme avant. Comme ça a toujours dû être.

Quand elle me raconte ses vingt ans, ici sur la côte. Quand elle me montre des lettres, des photos. Quand elle raconte les artistes, la bohême, son amour, ses rencontres, ses bêtises…la guerre.

C’est venu comme ça petit à petit. Il m’a fallu apprendre le chemin, rencontrer un à un les personnages. Apprendre l’histoire, par elle.

Depuis bientôt dix ans elle me raconte tout d’elle, de sa vie, comme à une sœur, une amie de son temps. Alors que 46 ans nous séparent, on s’entend bien. Nous sommes un peu pareilles. C’est elle qui le dit et moi je ne demande qu’à la croire. Elle raconte de plus en plus, inlassablement comme pour partager encore, transmettre. Elle raconte, écrit aussi, depuis quelque temps. Je déchiffre, tape les phrases sur l’ordinateur, sans trop les changer, telles qu’elle les dit. Dans un style presque « télégramme ». Comme des inventaires, des constats de situation. C’est frappant. C’est son style. C’est sans concession, comme ça.

Ce qu’elle raconte je ne pouvais l’entendre au début. Il y avait trop d’histoires, de personnages. Je ne connaissais rien. Tu sais, disait-elle, c’était une famille importante,… Tu sais bien, son ami le critique d’art si connu, celui qui…

Non je ne savais pas et ne pouvais retenir l’ordre d’apparition des personnages, des événements, des œuvres, des dates, des chagrins et bonheurs. Je ne savais pas m’accrocher à des fantômes aux noms anonymes.

Puis, petit à petit des morceaux sont restés. Des images de papiers, de dossiers. Au fur et à mesure que son quotidien se simplifie, elle revoit de mieux en mieux les histoires d’avant et moi je tente de les intégrer. De cheminer avec elle dans l’histoire, son histoire, prolongeant de même la mienne, ma vie.

Un jour elle me disait : « tu sais quand on vit si longtemps, il n’y a plus personne pour parler de ce que l’on connaît. On est seul ».

Et c’est étrange : par ses récits j’imagine la région, la France et l’Europe d’avant guerre, comme s’il s’agissait d’un lointain souvenir de ma propre vie.

Sans que nous nous y attendions, elle m’a offert le passé Français, comme auraient fait mes parents si j’avais été née ici. Plus étrange encore : la vie qu’elle me raconte, s’accorde étonnamment bien avec celle que je rêvais quand j’étais petite, mais dans un autre pays. Une dont j’avais la nostalgie sans l’avoir connue. Celle que je cherchais dans des photos de pays ensoleillés, dans des livres aux images d’ailleurs.

Dans la vieille ville, l’escalier délabré de l’immeuble que l’on croit désaffecté, mène à une porte qui ouvre sur le temps. A coté de la corde avec laquelle on fait tinter des clochettes à l’intérieur pour s’annoncer, sourit le visage d’une petite fille belle et coquine. Sa fille où elle même ? En passant le seuil de sa porte, on la retrouve, parlant du monde, de la Bohème, des artistes du café du Dôme, de l’école de Paris comme s’ils reviendront nous voir bientôt.

A la fin des années 30 elle se mariait avec l’artiste peintre Austro-hongrois. Elle se disait artiste peintre, il lui trouvait du talent. Il était de 35 ans son ainé.

J’ai d’elle une image en tête où elle avance lentement, donnant une main au passé remontant jusqu’à van Gogh et tendant l’autre au présent où je me trouve. Par-dessus son épaule je peux voir au-delà du début du siècle dernier et je me promène entre Berlin, Vienne, Paris et Amsterdam, en compagnie de son mari, des artistes de Montparnasse, de l’école de Paris, des écrivains. Ceux qu’elle ne connaissait pas personnellement, je les rencontre dans des récits, rédigés par de tierces personnes ou des descendants sur internet. Je crois déceler parfois des erreurs ou omissions, ou encore je soupçonne un document qu’elle considère comme disparu, entre des mains d’inconnus à l’autre bout du monde.

Et quand dans deux histoires différentes croisées sur le web les protagonistes coïncident, j’ai envie de dire, « ah bonjour ! Ravie de vous rencontrer, un tel m’a parlé de vous. J’avais beaucoup envie de vous connaître, je suis l’amie de …., …oui elle y habite toujours, toujours au même endroit. »

Je sais que le jour où elle cessera de me raconter, je n’aurais pas le bras assez long pour saisir les mains du passé. Je ne pourrais enjamber le fossé qui reviendra alors pour moi à tout jamais et je me trouverai seule avec ses souvenirs

Alors je me muscle le cerveau et prolonge mes souvenirs par les siens. C’est le seul moyen. Va-t-il falloir écrire tout ça ? Je n’ai pas envie d’y penser quand nous parlons et rions ensemble. Quand, de mauvaise humeur, elle me parle de pilules, oreilles et acouphènes, ou de sa sœur malade aux Etats-Unis, des cousins du peintre répartis dans le monde entier, des cartes de noël qu’elle ne peindra plus désormais. Entourée de l’atmosphère chaude de son appartement - musée dont les 4 murs sont couverts de tableaux merveilleux, je me sens privilégiée.

Avec elle je peux aller et venir quand je veux, entre aujourd’hui et il y a si longtemps.

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