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Billet de blog 16 février 2014

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Contre l'idéologie de la compétence, l'éducation doit apprendre à penser

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Contre l'idéologie de la compétence, l'éducation doit apprendre à penser

Voici une excellente réflexion qui devrait inspirer les politiques éducatives.

Je suis en plein accord avec les propos de Marcel Gauchet (historien) et de Philippe Meyrieu qui dressent un diagnostic pertinent sur les maux de l’école, aux antipodes des caricatures qu’en font les anti-pédagogistes médiatiques (les N. Polony, Finkielkraut, Jean-Paul Brighelli et autres…). Je suis heureux d’apprendre que Meyrieu a repris le contact avec le terrain. Je trouve qu’il se bonifie (intellectuellement) avec le temps. Ce n’est pas le cas de la plupart des commentateurs déclinistes et de certains « experts » autoproclamés. Il a pris du recul et il voit large en incluant de façon très pertinente nos difficultés quotidiennes dans un contexte de transformation radicale de l’individu (et de la famille) sur un temps historiquement court. C’est ce que Emmanuel Todd appelle les « trente glorieuses culturelles ».  Pour Marcel Gauchet « on demande à l'école de résoudre par des moyens pédagogiques des problèmes civilisationnels résultant du mouvement même de nos sociétés, et on s'étonne qu'elle n'y parvienne pas... ». Meyrieu renchérit : « Nous vivons, pour la première fois, dans une société où l'immense majorité des enfants qui viennent au monde sont des enfants désirés. Cela entraîne un renversement radical : jadis, la famille "faisait des enfants", aujourd'hui, c'est l'enfant qui fait la famille. En venant combler notre désir, l'enfant a changé de statut et est devenu notre maître : nous ne pouvons rien lui refuser, au risque de devenir de "mauvais parents"...Ce phénomène a été enrôlé par le libéralisme marchand : la société de consommation met, en effet, à notre disposition une infinité de gadgets que nous n'avons qu'à acheter pour satisfaire les caprices de notre progéniture. »

J’écrivais il y a peu sur mon blog :« Le narcissisme contemporain est le principal carburant du marketing et de ses technologies de contrôle. Avec un tel bombardement informationnel, une telle hyperstimulation, il ne faut nullement s’étonner  de l’état de saturation cognitive et affective des enfants et de leurs parents (ce qui inclut aussi les enseignants) et des troubles de l’attention qui en découlent dans l’exercice scolaire. Il serait temps de relier l’inflation du nombre d’élèves dys-  à l’environnement social sauf à vouloir tout médicaliser et se démettre de nos responsabilités. Nous ne pouvons ignorer le contexte général dans lequel s’insère aujourd’hui l’école. Faute de quoi nous en subirons les effets délétères, soit en nous retranchant de façon illusoire dans une école sanctuarisée et déconnectée des réalités sociales, ou soit en répercutant par adaptation successive et aveugle, donc mortifère, les changements sociétaux induits par des intérêts qui nous dépassent tous. L’enjeu aujourd’hui est de répondre à ces défis. Les débats idéologiques et nationaux qui tournent autour de l’éducation (i.e républicanisme versus pédagogisme) sont aujourd’hui caduques car ils ne prennent pas la mesure des bouleversements civilationnels en cours. »

Meyrieu pointe la disjonction entre savoir et apprentissage[1].  En filigrane, il plaide je pense pour une pédagogie de l’attention. Mais nous peinons tous à en cerner les contours et à lui donner de la matière dans l’exercice de notre métier. Les exercices de « relaxation » (en fait de la méditation en pleine conscience) que je pratique dans la classe avec une collègue vont dans ce sens mais restent expérimental. Je constate que ça s’use avec le temps et c’est précisément quand les élèves en ont le plus besoin qu’ils le font mal. J’en ai discuté avec un hypnothérapeuthe récemment qui m’encourage à poursuivre mais me recommande avec raison de ne pas m’appuyer exclusivement sur un CD pour ne pas user l’écoute. Plus facile à dire qu’à faire… Il me faut des outils, je ne suis pas assez qualifié pour ce genre de choses.  En revanche le bilan que je peux faire de l’atelier philo (AGSAS, voir sur le net) est nettement plus positif. Cela rentre pleinement dans ce que Meyrieu appelle un peu pompeusement un apprentissage de la pensée. De même, la priorité sur la production d’écrits va dans le bon sens.

Enfin, comme le suggère Meyrieu il ne faut rien lâcher sur le culturel ! Et ne pas se laisser impressionner par le « productivisme scolaire » boosté par le Sarkozisme mais hélas toujours en vogue. La dernière intervention de notre IEN à l’école a été éclairante sur l’ampleur des pressions qu’ils subissent.  


[1]Pour aller plus loin lire Stiegler, Bernard, Philippe Meirieu, et Denis Kambouchner. L’école, le numérique et la société qui vient. Fayard/Mille et une nuits, 2012.

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