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Billet de blog 28 juillet 2022

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Il faut ouvrir toutes les archives sur la guerre au Cameroun

Macron a une fois de plus botté en touche hier à Yaoundé en annonçant  une commission censée faire la lumière sur les crimes de guerre au Cameroun de 1957 à 1964. A t'il été correctement  briefé?

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Les travaux existent pourtant. Le travail le plus abouti à ce jour sur ce sujet reste "Kamerun, une guerre cachée aux origines de la Françafrique". Mais de nombreuses lacunes demeurent. Quels vont être les historiens qui vont composer cette commission ? Comment imaginer que le gouvernement camerounais qui a fondé sa légitimité sur un mensonge d'État ne cherche pas à orienter les résultats en nommant des non spécialistes ? Comment peut-on en quelques mois éplucher des dizaines de cartons à Vincennes et statuer sur une question aussi complexe ?  Or peu de personnes ont déjà eu accès aux archives militaires (j'en suis) à cause des tracasseries administratives.

Les  questions concernant la guerre au Cameroun  sont légitimes.  Le non-dit gangrène la société entière et laisse proliférer un certain nombre de contre-vérités. Un des enjeux est de faire la lumière sur les crimes de guerre et de tordre le cou à certains mythes comme celui du génocide.  Ce point n'est pas un aspect central dans ma thèse mais je me sens légitime de donner un point de vue sur cette question après 10 ans d'enquête.  Cette thèse prolifère sur le net et obscurcit le nécessaire débat.

Il y a eu des massacres de populations civiles, c'est un fait mais c'est impossible à chiffrer. Mais quel que soit le nombre de victimes, pour qu'il y ait génocide, il faut une volonté génocidaire c’est-à-dire une volonté d’exterminer tout un groupe « pour ce qu’ils sont » et non pas pour ce qu’ils font. Or la logique de guerre française (et camerounaise) était tout autre.

Certains propos, témoignages d’époque ou contemporains, qui ont abusivement ethnicisé le problème, ont laissé penser qu’il pourrait s’agir d’une guerre d’extermination, voire d’un génocide qui visait à éradiquer les populations Bamilékés (le fameux « caillou bamiléké » prononcé par Lamberton en mars 1960). Or les sources écrites consultées, en particulier militaires, ne laissent apparaître à aucun moment un plan d’action concerté visant à l’extermination d’une partie de la population. À supposer même que certains documents compromettants aient été expurgés – cette pratique ne surprendrait personne – aucun mobile sérieux ne justifie cette thèse. Jusqu’aux premières années de l’indépendance, les autorités françaises étaient dans une situation de bricolage permanent et devait s’adapter à une situation insurrectionnelle en perpétuelle reconfiguration et qui suivait, avec un temps d’avance par rapport aux autres colonies françaises, les soubresauts  de l’évolution politique en Afrique subsaharienne et en Algérie. L’instabilité chronique de la IV république ne permettait de toute façon pas l’application d’une politique anti-insurrectionnelle cohérente, même si celle-ci ait pu être dessinée à gros trait par certains administrateurs coloniaux et militaires. De Gaulle au pouvoir, une porte de sortie se dessinait de façon plus précise. Elle consistait d’après le célèbre mot de François Mitterrand « à partir tout en restant »: soit l’indépendance dans l’interdépendance. Et c’est bien parce que les maquisards de l’UPC contrariaient ce schéma de « négociation », qu’il fallait agir de façon brutale. En outre, la France n’avait pas les moyens de sa politique et était contrainte par le contexte international d’agir en sous-main en sous-traitant la répression au gouvernement camerounais dès l’accession à l’autonomie interne. Comme toute guerre révolutionnaire, ce fut aussi une guerre civile : Camerounais contre Camerounais.

Remontons le temps pour comprendre froidement cette logique.  Avec la recrudescence des activités rebelles en Sanaga-Maritime et l’échec de l’ultimatum de Mbida, la Zone de pacification (ZOPAC) fut mise en place de décembre 1957 à décembre 1958 . Elle était dirigée par Daniel Doustin et le lieutenant-colonel Lamberton, promoteur des méthodes contre-révolutionnaires. La ZOPAC allait amener l’armée à réaffirmer progressivement son emprise sur les services de renseignements et à leur adjoindre les techniques de guerre coloniale élaborées en Indochine et simultanément employées en Algérie. La réponse ne pouvait donc pas se limiter à l’action militaire, du fait de l’indifférenciation entre le front et l’arrière, entre les combattants et les villageois qui les soutenaient. La campagne d’expurgation des éléments « contaminés » des campagnes bassa mettait donc les populations civiles au cœur des dispositifs répressifs. Désignée parfois comme l’école française de contre-insurrection, la DGR était axée principalement sur des actions psychologiques, pour l’essentiel inspirée de la guerre révolutionnaire de Mao Zedong . Une génération d’officiers français, traumatisés par la défaite indochinoise développa une réflexion couplée à leur expérience de la guerre. Le lieutenant-colonel Charles Lacheroy, qui fit ses armes en Côte d’Ivoire et en Indochine, en était l’un des promoteurs. La DGR rassemblait un ensemble de techniques, des commandos de chasse aux sections chargées de fournir de l’aide aux populations en passant par les camps de regroupements où les populations étaient enfermées et endoctrinées – un échec lamentable selon l’armée. L’enjeu fondamental était de couper les insurgés (les éléments « contaminés ») des populations « saines » afin d’assécher les maquis.  La dimension politique de la DGR était donc bien plus importante que sa dimension militaire et meurtrière. Le bilan somme toute modeste de la répression sur cette période, bien que très sous-estimé, pousse dans ce sens. À ce stade, l’armée française retenait encore ses coups. La violence de cette guerre à petite échelle fut particulièrement asymétrique. Sur un plan militaire et sur une période longue, le bilan militaire du CNO est presque insignifiant : 96 personnes ont été tuées et 600 cases brûlées.  Il n’en allait pas de même du côté gouvernemental. Entre septembre 1957 et octobre 1958, les autorités militaires signalèrent 371 rebelles tués, 104 blessés et 882 arrêtés. Ces chiffres sont très largement sous-estimés. Dans sa thèse, Simon Nken parle de 1541 personnes tuées dans la même période, en dehors des décès dans les camps et en prison. En novembre 1958, 2070 maquisards furent signalés comme ralliés au pouvoir en place. À ce total de 3500, il faudrait ajouter les centaines d’individus qui ne se rallièrent qu’au moment de l’indépendance, tous ceux qui y restèrent après, et tous les  maquisards « capturés » par la suite et qui épousèrent la cause. Rubben Um Nyobé estimait le 13 juillet 1957 que « 10 000 patriotes sont soit en prison, soit en déportation politique, soit dans les camps de torture ».

La séquence de 1960 dans le Bamiléké fut bien plus violente mais la logique d’expurgation de l’élément upéciste restait la même. L’indistinction entre le front et l’arrière, entre les combattants et les villageois est à la source du désarroi de l’armée française et en partie de son choix radical de frapper indistinctement avec une extrême violence. Loin, me semble-t-il, d’une volonté « génocidaire », les raisons des massacres de l’armée franco-camerounaise semblent à l’intersection de la toute-puissance militaire et de l’impuissance politique à rallier les populations locales. La guerre menée par la France au Cameroun fut celle de l’expurgation de l’élément upéciste jugé « contaminant » par l’assèchement des maquis et la politique de la terre brûlée. La grande différence avec la ZOPAC en Sanaga Maritime tient à ce que les populations locales bamiléké étaient jugées « irrécupérables ». Les premiers camps de regroupement n’apparurent que quand les villages suspects furent incendiés et rasés. L’armée française fut active au Cameroun au moins jusqu’en 1964. Ce qui est avéré est qu’il y eut des massacres de grande ampleur, si on les rapporte à l’échelle du pays (à peu près trois millions d’âmes). Le  bilan meurtrier, encore très difficilement chiffrable tourne autour de quelques dizaines de milliers de morts, peut-être davantage. Certes la violence prit des proportions tragiques durant le printemps-été 1960; des villages entiers ont été incendiés et rasés de la carte par le biais de bombardements menés par les troupes aéroportées franco-camerounaises. Mais les raisons de cette campagne de destruction et d’anéantissement des terroirs découlaient à la fois du manque de moyens en hommes et en matériel et de la volonté de mener une campagne éclair, afin de ne point trop attirer l’attention de la communauté internationale et non pas d’une volonté d’exterminer une « race ». D’ailleurs, des éléments extrémistes dans l’entourage d’Ahidjo comme Samuel Kamé (un Bamiléké) poussaient vers des solutions plus radicales que l’Etat- major français. Peut-on l’accuser d’un génocide envers les siens ? Ce fut donc davantage une campagne militaire d’ « expurgation » de l’élément jugé nuisible. Sauf que faute de moyens et de volonté politique d’effectuer une « opération de chirurgie fine », et ayant fait le constat de l’échec des actions psychologiques menées dans les camps de regroupements, l’on préféra amputer le membre contaminé. Sans anesthésie. Aujourd’hui encore, les plaies sont vives et  le traumatisme profond.

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