Si je dis que je suis originaire
d’une famille « modeste »,
qu’est ce que ça veut dire
pour nous ?
Qu’est ce que ça veut dire
pour un « bourgeois » ?
Qu’est ce que ça veut dire
pour un « pauvre » ?
Qu’est ce que ça veut dire
pour les « maîtres » ?
Qu’est ce que ça veut dire
pour moi ?
La Mère nous a toujours dit
d’être fiers de nos origines.
Alors, « modeste », ça veut dire quoi ?
Ce serait mentir que de se définir ainsi.
Ouvrier agricole ou Gitan,
sans trop de sous en poche,
mais une grande fierté dans le coeur,
c’est possible ?
C’est même plus que possible,
ça peut définir qui on est.
En fait, nous sommes originaires de « familles fières »,
de « milieux fiers ».
Chez nous, c’est cela qu’il faudrait dire,
chez nous.
Milieux « défavorisés » ?
Aujourd’hui, je pense que c’est la misère humaine
qui définit la « défaveur ».
L’école de la vie,
on ne la suit pas en tournant les pages d’un livre de compte,
en écornant les cahiers d’écolier,
les doigts bleuis d’encre.
La richesse humaine,
comme la pauvreté de coeur,
traversent les classes sociales,
elles échappent à ces pauvres cases
d’une hiérarchie sociale sans imagination.
Je me souviens:
En rentrant de l’école,
je shoote dans les marrons,
sur le bitume de la rue du cimetière.
Mon royaume pour une tranche de pain
et une pierre de sucre.
Le père prend le pain,
le serre contre sa poitrine,
sort de sa poche droite un couteau,
et avant de trancher
les épaisses tartines blanches,
il trace,
sur le dos du pain,
un invisible signe,
et aussitôt,
la couleur du ciel
devient la couleur de ses yeux,
et ton ciel ne va plus se ternir,
même sous l'orage.
J'ai vu un nuage
embrasser un marronnier
et fondre sans bruit.