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Billet de blog 12 octobre 2022

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Le haut et le bas

Annie Ernaux est célébrée pour son Prix Nobel ces jours ci. Par delà son talent et sa sincérité, ce refus militant de la métaphore poétique dans son style d’écriture, annoncé comme une fidélité à son sujet, est-il lié à une vision du monde qui revendiquerait des origines culturelles dénuées de toute transcendance, tout imaginaire, toute poésie, toute littérature même orale?

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LE HAUT ET LE BAS

Annie Ernaux est célébrée pour son Prix Nobel ces jours-ci.

Par-delà son talent et sa sincérité, et l’importance évidente de sa parole (car beaucoup s’y reconnaissent à juste titre) elle est aussi le symbole pour moi du mal-être lié, en France, à la culture acquise. C’est un sujet fondamental si l’on est attaché à la culture populaire.

Dans notre pays, si vous venez d’un milieu dit « modeste », du « peuple », et que vous réussissez à « acquérir une culture » grâce à l’école et vos efforts, à mesure que vous gravissez les échelons de la connaissance, vous vous devez de gravir en parallèle les échelons de votre condition sociale et vous vous éloignez de vos racines, et de ceux qui les incarnent, votre famille et principalement vos parents. C’est vécu comme obligé, la culture élève et éloigne celui qui part « d’en bas » pour « s’élever ». En bas, il n’y aurait en effet pas de culture, sauf celle proposée par les médias et les commerçants. En haut, c’est à la fois la culture officielle de l’école et des classes bourgeoises.

Annie Ernaux raconte de manière très sensible dans "La Place" la honte qu’elle ressent vis-à-vis de ses parents, lorsqu’elle confronte leur image sociale au regard du milieu éduqué qu’elle fréquente suite à ses études universitaires. Le sociologue Pierre Bourdieu avouait, malgré sa lucidité sur le conditionnement social, ne pas supporter la musique, inférieure à ses oreilles, du dialecte occitan de sa région d’origine. Et à ce sujet, Annie Ernaux parle aujourd’hui avec un ton de voix, un « accent » et un vocabulaire propre à la classe bourgeoise intellectuelle éduquée standard, sans aucune marque d’origine extérieure, y compris quand elle parle avec émotion de son enfance normande.

Et pour beaucoup de français, c’est une loi, il n’y a qu’une éducation, une culture, une même et unique voie vers l’élévation des esprits, et un même prix à payer. Le grand mérite d’Annie Ernaux est de l’avoir décrite mieux que personne, cette perte,… cette souffrance. Mais elle décrit également, et malgré elle, une défaite.

Peut-être, comme l’écrivain Edouard Louis, a-t-elle associé à un moment de sa vie ses problèmes relationnels familiaux et son milieu social, ce qui convient tout à fait aux critiques littéraires conventionnels, issus majoritairement des classes dominantes, les confortant (inconsciemment sans doute) dans leur sentiment de supériorité ?

Peut-être que celle qui réagissait négativement au Nobel 2016 attribué à Bob Dylan en ces termes « Ce qui est proprement littéraire se dissout… » a du mal à comprendre un poète qui a gardé un lien exigeant et revendiqué (lire les Chroniques autobiographiques de Dylan) avec la littérature populaire orale de son pays ?

Peut-être que son refus militant de la métaphore poétique dans son style d’écriture, annoncé comme une fidélité à son sujet, est-il lié à une vision du monde qui revendiquerait des origines culturelles dénuées de toute transcendance, tout imaginaire, toute poésie, toute littérature même orale ?

Ne méprisez jamais vos origines, il n’ y a pas de haut ni de bas, votre seule richesse est dans la dignité de vos racines, là où votre famille vous a nourri et élevé. Voyagez, apprenez d’autres cultures, d’autres langues, mais n’oubliez jamais d’où vous venez, que vous soyez originaires des quartiers nord de Marseille, d’un village breton, corrézien ou de Kabylie, d’une banlieue strasbourgeoise ou d’un campement gitan de la vallée de la Loire, des faubourgs de Kaboul ou bien du quartier St Jacques à Perpignan, chérissez cet héritage, même si vous évoluez parfois loin de ce monde qui a fait de vous ce que vous êtes, célébrez-le. Ne soignez pas un transfuge, soyez un voyageur qui va loin, mais qui n’a jamais oublié d’où il vient, et qui y retourne régulièrement, si jamais il n’y vit plus, et qui aime toujours parler la langue de ses ami-es d’enfance et partager ses expériences avec eux.

Tu n'es pas un « transfuge de classe »,

tu as la fierté de tes racines,

tu auras toujours sur tes lèvres

le souvenir du goût de ce lait

qui te nourrit encore aujourd’hui,

tu as la fierté de tes origines,

tu n'es pas un transfuge de classe,

tu plains ceux qui se définissent ainsi,

tu plains leurs familles,

quel mépris du ruisseau pour la source.

Tu es le fruit d’un arbre qui chérit sa terre,

tu es l’écume d’une vague qui chérit sa mer,

tu n'es pas un transfuge de classe,

tu ne trahis pas

et tu ne trahiras pas.

Simplement,

comme la vague,

tu es vivant

et tu vas.

Tu es un vagabond

et tu brûles.

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