Paul Fischbeck, qui soit dit en passant, et malgré un CV flatteur, n'a aucune compétence dans les domaines de l'agriculture, de l'alimentation, de l'écologie et de la biologie, se charge lui-même de vulgariser son étude "scientifique" en la résumant en deux phrases choc que les journalistes en mal de sensationnel n'ont plus qu'à copier-coller :
- "Manger de la salade verte est plus de trois fois pire que manger du lard en termes d'émissions de gaz à effet de serre."
- "Ce qui est bon pour notre santé n'est pas toujours bon pour notre environnement."
Disons-le tout de suite, ces deux affirmations de Paul Fischbeck sont non seulement scientifiquement fausses, mais de surcroît elles ne reflètent même pas la teneur de l'étude qu'il a effectuée. De toute façon, pour couronner le tout, son étude manque de rigueur, ce qui a été dénoncé par des (vrais) scientifiques et est confirmé par le fait que cette étude n'est pas publiée dans une revue scientifique significative.
Je ne m'attarde pas sur la faiblesse de la méthodologie de son étude et sur les conclusions hâtives qu'il en tire, de vrais scientifiques l'ont déjà fait, en Français comme Yves-Martin Prevel (de l'Institut de recherche pour le développement, Montpellier) ici, ou en Anglais comme Martin Heller (Université du Massachussets) là. Hilary Hanson et Rachel Gross, journalistes anglophones consciencieuses démontent aussi cette étude ici et là. Il y en a sûrement bien d'autres.
La salade verte et le porc
Les spécialistes, diplômés, éloquents, arrivent facilement à mentir sans mentir. Une petite subtilité dans un coin de paragraphe, que les non-spécialistes ne vont pas relever, peut changer un mensonge en vérité. C'est comme les clauses écrites en tout petit avec un astérisque au bas des publicités.
Ce que dit l'étude de Paul Fischbeck (étude qui de toute façon est de mauvaise qualité, comme on l'a vu), c'est c'est que la production d'une calorie contenue dans de la salade verte engendre trois fois plus de gaz à effet de serre que la production d'une calorie contenue dans du lard. Cette nuance peut sembler insignifiante, une chose qu'on peut négliger quand on parle aux journalistes, pour aller plus vite et ne pas les encombrer avec des détails techniques.
En fait, non. Ça change absolument tout !
Selon l'USDA (ministère de l'agriculture étasunien)
- 100 grammes de lard contiennent 157 calories
- 100 grammes de salade verte contiennent 15 calories
On voit que pour avoir le même nombre de calories que 100 grammes de lard, il faut un peu plus d'un kilo de salade verte. Et c'est ce "même nombre de calories" qui rend tout le raisonnement caduc. On aurait pu prendre autre chose que le "même nombre de calories" pour faire la comparaison. Par exemple, la quantité de calcium. Toujours selon l'USDA, dans notre kilo de salade verte, il y a 360 mg (milligrammes) de calcium. Pour en avoir autant en mangeant du lard, il faut en manger 4,5 kg. Si, comme Paul Fischbeck, on admet (ce qui est loin d'être évident) que produire un kilo de salade émet trois fois plus de gaz à effet de serre que produire 100 grammes de lard, alors produire 4,5 kg de lard émet 15 fois plus de gaz à effet de serre que produire notre kilo de salade (une simple règle de trois). Donc, si je fais comme Paul Fischbeck, je peux sortir une phrase choc en oubliant de préciser mon critère -le calcium, donc-, et j'assène : "manger du lard est 15 fois pire que manger de la salade verte en termes d'émission de gaz à effet de serre".
Ces comparaisons sont sans intérêt. Pourquoi choisir l'égalité du nombre de calories ou celle de la quantité de calcium ? C'est arbitraire et ne donne aucune information pertinente, dans un cas comme dans l'autre.
Ce que dit l'étude de Paul Fischbeck, en réalité, c'est donc que la production d'un kilo de salade verte émet trois fois plus de gaz à effet de serre que la production de 100 g de lard. Et là on ne parle que de produire, pas de manger.
Car il est bien évident que personne ne mange de la salade verte pour faire le plein de calories, de la même manière que personne ne mange du lard pour faire le plein de calcium, de vitamine A ou C. Quand on veut 157 calories sans s'empoisonner aux graisses saturées, croyez-le ou non, on n'est pas obligé de s'enfiler un kilo de salade. On a l'embarras du choix entre 50 g de riz complet (poids quand il est cru), 43 g de poix chiches, 200 g de patates, une banane, 100 g de manioc...
Plutôt que d'opposer deux aliments sur un critère comme les calories qui donne arbitrairement l'avantage à l'un, les vrais scientifiques étudient les impacts sur l'environnement de divers "régimes types". D'ailleurs, Paul Fischbeck mentionne ces travaux sérieux, histoire de ne pas totalement passer pour un rigolo, mais il les relègue aux tréfonds de son article. Et dans ces études sérieuses, il n'y a pas photo : manger moins de viande (voire pas du tout), c'est bien meilleur pour la santé et pour l'environnement. De très, très loin. Et si on privilégie les circuits de distribution courts et une agriculture non intensive (ou même bio), l'avantage pour le régime végétarien devient cosmique.
Après la comparaison choc mais bidon, le message subliminal
Après le coup de la salade verte et du lard, qui ont insinué dans la tête du journaliste le titre croustillant qui aguichera le lecteur, Paul Fischbeck récite les astérisques (que le journaliste n'écoute pas et, bien souvent, ne retranscrira pas dans son article). Ces astérisques disent à demi-mot tout ce que vous venez de lire au-dessus. En substance : "en fait, ma phrase sur la salade est très exagérée, on ne peut pas faire de telles comparaisons, et bla bla bla". (Trop tard, le mal est fait, et tu le sais très bien, Paul). Tout cela pour aboutir au vrai message : les choses sont plus compliquées qu'il n'y paraît, tout n'est pas noir ou blanc, il faut oublier ce qu'on croit savoir, le doute est permis etc. Et !, ce qui est bon pour la santé peut être nocif pour l'environnement.
Là est la fourberie. Donc selon lui, toutes les études (réellement) scientifiques qui ont été faites depuis des décennies sur le sujet, il ne faut pas trop s'y fier, car la vérité est plus subtile. D'ailleurs, il ne développe pas. C'est trop subtil pour nous. On doit juste garder en tête qu'il vaut mieux oublier tout ce qu'on croit savoir et laisser ça aux spécialistes. En fait, non. Il faut lui laisser ça à lui, même s'il est très loin d'être un spécialiste en la matière et que tous les vrais spécialistes disent le contraire de ce qu'il dit. Ils doivent certainement avoir une vision des choses trop simpliste, pas assez subtile, trop dogmatique...
En arrêtant la rigolade et en redevenant "sérieux" (c'est-à-dire modéré (c'est-à-dire respectable)), il met la vaseline pour introduire le doute : l'écologie et la santé peuvent s'opposer. De la pure langue de bois publicitaire, comme le yaourt Machin qui peut vous aider à digérer, et comme le Sar Rabindranath Duval qui peut deviner le compte en banque d'un spectateur pris au hasard dans la salle. C'est la même technique d'introduction lubrifiée qu'emploient les lobbies climato-négationnistes (ne serait-ce qu'en se désignant comme "sceptiques") à propos de l'effet de serre et de ses causes.
Cette combo qui à une phrase choc grossièrement fausse (à la limite du trolling, ou tout simplement "provocation" en bon Français) fait succéder un discours beaucoup plus nuancé relève d'une technique de manipulation bien connue, expérimentée et documentée, notamment par Dolinsky et Nawrat, qui se nomme "technique crainte-puis-soulagement". En deux mots, quand on fait craindre une chose à un sujet, puis qu'on le soulage en lui montrant que finalement, la mise en garde était exagérée, ce sujet est beaucoup plus réceptif.
Pour régner sur l'atome, divisons l'atome
Paul Fischbeck a-t-il lu une étude indiquant que certains écologistes sont plutôt motivés par la santé publique et d'autres par la protection de l'environnement ? On dirait bien que son but est de diviser le front écologiste selon ces deux catégories. Mais l'écologie est atomique (au sens étymologique, bien sûr). C'est une science qui met en évidence que tout est lié dans un écosystème, et qu'il est donc vain de vouloir compartimenter les préoccupations. La protection de l'environnement est le seul moyen d'assurer la santé publique à long terme. Et pour assurer la santé publique à court terme, on se rend compte que la meilleure alimentation est également celle qui abime le moins l'environnement. C'est un fait. Être un universitaire qui conteste cela ne le rend pas faux. Ça fait juste de lui un universitaire incompétent ou compromis (au choix).