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Billet de blog 18 avril 2016

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La science - 3. Bref intermède : les machines surunitaires

Petit intermède durant lequel un raisonnement scientifique permettra une fois pour toutes d'en finir avec le fantasme de la machine surunitaire, c'est-à-dire de la machine qui produit plus d'énergie qu'elle n'en consomme.

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Comme on l'a vu dans le premier billet de ce cycle, la physique a pour but de prédire des phénomènes en décrivant la manière dont ils arrivent par un modèle qui ne souffre aucune incohérence. Même si ce but n'est pas encore atteint (et ne le sera peut-être jamais complètement), la physique parvient déjà à décrire certains morceaux de réalité de manière cohérente. La physique doit donc respecter la logique d'une part, et l'observation objective de la réalité d'autre part. Les deux sont nécessaires pour qu'une théorie soit valide, au moins dans un certain domaine de la réalité. Les deux outils privilégiés pour satisfaire ces deux contraintes sont les mathématiques d'une part (pour garantir la cohérence), et la mesure d'autre part (pour contrôler la conformité aux observations objectives).

Une mathématicienne de nom de Noether a établi un théorème d'une extrême importance au début du XXème siècle. Je rappelle qu'un théorème peut se réduire à une formulation du type "Si ... alors...", et qu'il est absolument démontré ; c'est-à-dire qu'il ne peut pas être contredit sans aboutir à une absurdité du type "1 = 0", "si A est vrai, alors A est faux" etc. Je sais qu'il est difficile à accepter pour beaucoup de gens qu'il puisse exister des choses absolues qui ne souffrent aucune contradiction, surtout après avoir passé des siècles à se libérer des absolus imposés par les religions, mais c'est pourtant le cas. Un théorème restera vrai (au sens de la logique, ce qui veut dire que le contraire aboutirait forcément à une absurdité) quoi qu'il arrive, même si toute l'humanité le nie. C'est donc très différent d'une vérité philosophique, sociale, intime etc.

On peut simplifier l'énoncé réel du Théorème de Noether en écrivant :
"Si les lois physiques restent les mêmes au cours du temps, alors l'énergie est une grandeur physique qui se conserve".

"Les lois physiques restent les mêmes au cours du temps", cela veut dire qu'une équation qui est vraie aujourd'hui reste vraie demain, et qu'une expérience faite aujourd'hui et demain donnera le même résultat (pour peu que la date ou la météo ne soient pas des paramètres décisifs de l'expérience, bien sûr ; sinon, on ne pourrait de toute façon pas considérer que les deux expériences sont les mêmes).

Nous avons toujours considéré que les lois de la physique restent les mêmes au cours du temps, car cela semble être le cas, et car faire cette supposition ne nous empêche pas d'obtenir des résultats valides, vérifiés. Rien ne contredit donc cette supposition. Mais en toute rigueur, ce n'est pas démontré. Toutefois, cela n'invalide pas le Théorème de Noether, puisqu'il dit "SI les lois de la physiques restent les mêmes... ALORS..."

Quand on applique ce théorème à la réalité, il y a deux possibilités :

  • Soit il est vrai que les lois de la physique restent les mêmes au cours du temps (ce qui franchement, semble être le cas, même en chipotant), et donc l'énergie est vraiment une grandeur qui se conserve ; dans ce cas il est impossible de créer ou de détruire de l'énergie, on ne peut que lui faire changer de forme (par exemple, transformer une énergie de mouvement en énergie électrique, ou une énergie de rayonnement en énergie calorifique etc.).
  • Soit les lois de la physiques changent, mais elles changent tellement lentement qu'on n'a pas encore réussi, depuis qu'on fait des mesures, à déceler leur variation ; il est alors envisageable de créer ou détruire de l'énergie.

Dans le premier cas, la machine surunitaire est totalement impossible, puisqu'un système dissipe toujours une certaine quantité d'énergie, même infime, en chaleur et/ou en rayonnement. Ainsi, il ne pourra même pas restituer 100% de l'énergie qu'on lui fournit, et a fortiori il ne pourra pas non plus restituer une quantité supérieure.

Dans le second cas, le fait que le changement des lois physiques est extrêmement lent, d'une intensité si faible qu'on n'a toujours pas pu la déceler, autorise en conséquence une violation de la conservation de l'énergie elle aussi extrêment faible. C'est-à-dire que si on arrive à faire une machine qui ne subit aucun frottement lors de son fonctionnement, pas même avec l'air, et qui ne rayonne rien (il faut pour cela la refroidir à une température qui frôle le zéro absolu), il est éventuellement possible, même si peu probable, qu'elle restitue 100,00000000000000000000000000000000001 % (ou un truc comme ça) de l'énergie qu'elle consomme. Si cela devait se produire, je serai l'un des premiers à saluer la prouesse scientifique et technologique, mais de toute façon, cela ne pourra pas apporter de solution aux problèmes énergétiques de la Terre. En effet, cela reviendrait à consommer l'énergie du soleil pour récupérer l'énergie du soleil + l'énergie nécessaire pour allumer une ampoule.

Certains, pour éviter d'être critiqués sur la violation de la conservation de l'énergie, clament que leur invention utilise l'"énergie libre", c'est à dire une forme d'énergie qui baigne notre environnement, qui est disponible tout autour de nous. Cette énergie existe en effet sous de multiples formes : la chaleur ambiante, l'énergie potentielle de gravitation, la mystérieuse "énergie du vide"... Mais leur raisonnement est en fait fallacieux puisque même pour puiser dans ces réservoirs d'énergie, il faudra dépenser plus d'énergie que l'on n'en récupèrera (dans l'hypothèse de lois physiques qui ne changent pas au cours du temps) ou un tout petit peu moins (dans l'hypothèse de lois qui varient très lentement), ce qui ne nous sera de toute façon d'aucune utilité.

Un bon exemple pour visualiser ce processus est la pompe à chaleur (ou climatisation réversible), qui récupère la chaleur résiduelle de l'air froid extérieur pour l'injecter dans une maison et ainsi la réchauffer. On voit bien que même dans un air froid autour d'une maison, il reste une énergie calorifique que l'on peut récupérer pour chauffer une maison. Par exemple, une pompe à chaleur va prendre de l'air à 5 °C pour produire de l'air à 25 °C. Mais ça ne veut pas dire qu'elle a créé de l'énergie. En effet, il ne faut pas oublier que pour faire cela, elle a consommé beaucoup d'énergie électrique. Pour déplacer l'énergie d'un endroit où elle est rare (l'extérieur froid) vers un endroit où elle est déjà abondante (l'intérieur déjà chaud), il faut consommer de l'énergie (électrique, dans ce cas).

En revanche, on peut récupérer de l'énergie au passage quand il existe une diffusion d'énergie qui va d'un endroit où l'énergie est abondante vers un endroit ou elle est rare. Par exemple, d'un endroit chaud vers un endroit froid (principe de la géothermie), ou d'un endroit haut (riche en énergie potentielle de gravité) vers un endroit bas, comme lors de la production d'électricité hydraulique.

Toute machine produisant de l'énergie (comme un barrage, un moteur, une machine) est en fait une machine placée à côté d'un "réservoir d'énergie", un lieu ou l'énergie est plus abondante et concentrée et moins dégradée (c'est-à-dire plus utilisable) qu'aux alentours, et cette machine profite d'une tendance naturelle de l'énergie à aller de l'état et du lieu où elle est la plus concentrée vers l'état et le lieu où elle est la moins concentrée. Donc, même s'il existait une machine capable de capter l'énergie quantique du vide, comme certains le revendiquent, ils devraient placer leur machine près d'un "réservoir" où cette énergie est plus concentrée qu'ailleurs. Nous ne connaissons pas encore de tels réservoirs, et nous n'avons de toute façons pas encore la technologie pour les exploiter.

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