A priori, je pense que mon billet ne plaira qu'aux modérés, et déplaira aux intransigeants, aux exaspérés des deux camps.
Les "ZE" semblent être majoritairement des partisans d'une grande liberté, voire des libertariens, notamment en matière d'économie, d'entreprise, de liberté de s'enrichir et de faire ce qui leur plait sans avoir à être inquiétés du "qu'en dira-t-on", d'une morale hypocrite et arbitraire.
À eux, je voudrais dire que je pense les comprendre, au moins en partie. On m'a traité de pervers parce que j'aime me baigner nu et que je posais nu pour des artistes. On m'a traité de pédale parce que j'avais des cheveux longs quand ce n'était pas la mode. On m'a traité de fou parce que j'ai fait des choix dans ma vie que très peu de gens font. On m'a traité d'irresponsable parce que j'ai choisi des voies qui paraissaient effrayantes. On m'a traité d'égoïste parce que j'ai considéré que les peurs ou simplement les blocages ou paralysies des autres n'étaient pas mon problème et ne devaient pas me ralentir (non pas que je m'en fichasse, mais je n'y pouvait rien). J'ai souvent eu l'impression d'être Jonathan Livingstone le goëland. Je suis du genre à me mettre en tête d'escalader une paroi sans aucune sécurité, à tenter un truc qui paraît risqué aux autres, juste parce que je pense que je vais kiffer et que je suis capable de le faire. Et à force, je me suis blindé contre les mises en garde et les critiques, préférant l'objectivité scientifique (bien souvent muette quant aux choix humains) à l'arbitraire de la morale, de la tradition, des peurs, des fantasmes, des croyances, des dogmes... On a tous une morale, une tradition, des peurs, des fantasmes, des croyances et des dogmes, mais j'ai préféré, autant que possible, les produire moi-même plutôt qu'adopter ceux qui sont communément partagés et transmis de génération en génération.
J'ai toujours été attiré par les sensations fortes, les défis, les risques, par une certaine quête d'intensité de vie, pour que celle-ci vaille la peine d'être vécue. Les hasards de la vie (et seulement cela, sans doute), ont fait que je n'ai jamais trouvé quoi que ce soit d'enviable et de jouissif dans "les affaires", le fait de s'enrichir, la carrière, les belles voitures, la "vie jet-set", le costard de Macron, le fait de mener à terme de gros deals, de parler en M€ etc. Néanmoins, mes goûts pour d'autres choses me font, je crois, comprendre que certains puissent se tourner vers ça pour avoir une vie intense, comme moi je me suis tourné vers d'autres choses à différentes époques de ma vie, pas forcément plus intelligentes (ni forcément plus bêtes), comme les drogues psychédéliques, la Science (avec un "S" majuscule), la spiritualité (quoi que ça veuille dire) ou les errances, sac au dos, de bonnes rencontres en mauvaises, de pays paradisiaques en dictatures, d'humains en humains, de toutes conditions, sexes, religions, orientations, opinions...
Mon but n'est pas de raconter ma vie, que je trouve finalement, et très sincèrement, ni mieux ni pire qu'une autre, mais juste d'en faire l'illustration d'un dilemme, d'une confrontation idéologique, vue ces jours-ci sur Twitter.
J'ai l'impression que les #ZE trouvent insupportable que beaucoup de gens qui ne font rien pour s'enrichir (par choix ou par incapacité) leur reprochent de vouloir s'enrichir alors qu'il n'y a rien d'objectivement "mal" à s'enrichir. Je crois que les #ZE aimeraient même encourager tout le monde à le faire, un peu comme quand je dis aux gens : "vas-y, tombe le maillot de bain ! Tu verras, c'est vachement plus agréable ! Y a rien de mal à ça !" et que je ne comprends pas pourquoi leur seule réponse est de me traiter de pervers. Les #ZE semblent d'ailleurs hésiter quant à savoir qui est leur pire ennemi : celui qu'ils désignent (à tort ou à raison) comme "incapable qui les dénigre par jalousie", ou celui qu'ils désignent (à tort ou à raison) comme "capable qui a fait un choix idéologique et se croit moralement supérieur".
Les révolutionnaires trouvent insupportable qu'une minorité se gave, et de plus en plus, pendant que beaucoup sont réduits à une misère de plus en plus abjecte, allant de plus en plus souvent jusqu'à la perte de dignité, l'obligation de mendier un emploi précaire, dans une entreprise nocive pour le monde, et donc l'obligation de participer au hold-up de la richesse commune (dont ils sont donc les premières victimes), juste pour récolter quelques miettes de ce hold-up, car c'est moins la loose que de faire partie de ceux à qui il ne reste plus rien.
"Nocive" est ici en caractères gras car c'est le mot qui cristallise tout le dilemme selon moi. Je pense que personne (ou presque ; il y a toujours des fous furieux, mais les vrais fous furieux sont peu nombreux, pour peu que les circonstances soient apaisées) ne trouverait à redire si certains s'enrichissaient en dirigeant des entreprises, des vaisseaux économiques ou des empires, qui créent de l'activité économique réelle globale (c'est-à-dire augmentent la quantité nette de liquidités en circulation) et qui favorisent l'activité économique réelle globale future (source d'espoir, de désir d'entreprendre, de risquer) en ne détruisant pas les ressources naturelles, financières et humaines.
La structure monétaire d'aujourd'hui ne permet pas cela. Chaque dollar (ou euro, ou n'importe quelle de ces monnaies de singe fondées sur une dette) est une petite pioche qui sert à l'extraction de liquidité dans la mine de liquidité qu'est l'économie réelle. On est donc dans un jeu de chaises musicales, où il est effectivement possible à chacun de s'enrichir ou simplement de demeurer digne, mais impossible à tous de le faire en même temps. Et celui qui s'est fait éjecter du jeu (ou celui qui trouve dégueulasse que les plus faibles soient éjectés) en veut à celui qui a pris une chaise et l'a mise sur roulettes pour s'assurer de ne pas perdre, tandis que celui-ci ne comprend pas pourquoi on vient le faire chier lui, alors qu'il y a des dizaines de participants, qu'ils peuvent tous mettre des roulettes s'ils le veulent, et que de toutes façons, on n'est pas à l'abri de se faire prendre sa chaise à roulette par plus fort que soi.
Cette mise en compétition de tous les usagers de monnaie-dette (la seule exception étant les usagers qui sont également émetteurs de cette monnaie) est donc de nature à diviser. D'autant plus que le perdant n'est pas simplement un individu pauvre, mais un peuple asservi (d'une manière ou d'une autre, que ce soit par les impôts, les plans d'austérité, l'obligation d'accepter des emplois précaires et même nocifs) tant que la dette totale n'est pas épongée, ce qui est mathématiquement impossible.
La lutte entre les partisans du libéralisme économique (auxquels j'assimile les #ZE ; j'espère ne pas trop me tromper) et les révolutionnaires se réduit donc à une lutte entre ceux qui acceptent la règle du jeu des chaises musicales et ceux qui veulent que ce jeu s'arrête. Et comme dans le vrai jeu, on peut prendre son pied à y jouer, même s'il est dur, parfois injuste, et qu'il crée des perdants. Surtout quand on est bon à ce jeu. Mais il est non moins légitime de vouloir arrêter ce jeu, notamment quand on est soi-même mauvais ou qu'on voit des proches, ou des lointains pour qui on a de l'empathie, se faire cruellement éjecter. Car dans le jeu de la "monnaie musicale" actuelle (c'est exactement, strictement, de ça qu'il s'agit), se faire éjecter veut dire avoir une existence inhumaine, et selon les règles monétaires actuelles, il y en a FORCÉMENT qui se font éjecter. C'est mathématique.
À mon avis, l'information qu'il manque aux libéraux, c'est que ce qu'on appelle libéralisme économique aujourd'hui est un fantasme. La théorie néoclassique repose sur les hypothèses d'un pouvoir central, tout puissant et bienveillant, et d'une monnaie économiquement neutre. Or en réalité, le pouvoir monétaire a été transféré vers les banques de crédit, qui ne sont ni toute-puissantes ni bienveillantes, et elles créent une monnaie valorisée, et non pas neutre. Donc, des états qui n'essaieraient pas de compenser ces biais avec des politiques sociales ne livreraient pas leurs sociétés à un marché libre, sans règle arbitraire et donc équilibré, mais à un jeu de chaise/monnaie musicales orchestré (et donc très autoritairement régulé, loin de l'idéal libertaire) par les émetteurs de monnaie qui sont presque tous privés, et donc seulement animés par la quête de profit et non pas par l'instauration de règles justes ou neutres.
Bref, je pense que les révolutionnaires ne doivent pas se tromper de cibles. Le problème, ce n'est pas ceux qui gagnent au jeu, même si certains peuvent en tirer de l'arrogance et du mépris pour les perdants. Le problème de la misère et de l'asservissement est causé par le jeu lui-même et ceux qui l'ont installé, l'ont imposé, et l'entretiennent en divisant les joueurs selon des lignes multiples (pas seulement gagnants/perdants). Et je pense que les champions de l'enrichissement ne devraient pas s'en glorifier, ni mépriser ceux qui sont mauvais à ce jeu ou choisissent de ne pas y prendre part. Car ça n'est qu'un jeu, une activité dont le but est de faire monter un score stocké dans une case mémoire d'un ordinateur, éventuellement pour échanger quelques points contre des items proposés par les concepteurs du jeu. Il existe des dizaines, des centaines de possibilités de modèles sociaux qui reposent sur autre chose que sur ce simple jeu.