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Billet de blog 6 novembre 2017

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La Sentinelle de fer : un témoignage du bagne de Nosy-Lava.

Roland Vilella est un navigateur familier des eaux turquoise bordant les côtes de Madagascar. Une seule chose le pousse à hisser la grande voile, cette curiosité faussement mauvaise « d’aller voir ce qui se passe derrière chaque horizon ».

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Après Henri le cultivateur publié en 2004, Roland Vilella revient aujourd’hui avec La Sentinelle de fer, un livre percutant dans lequel sont collectés les souvenirs de bagnards oubliés de l’île de Nosy-Lava.   Construit en 1911 par le gouvernement français au large de Madagascar, le bagne de Nosy-Lava tombe dans les mains du gouvernement malgache  après la décolonisation de 1947. Cette prison plantée dans le sable fin, juchée sur une île aux allures de carte postale, deviendra dès lors le théâtre de tortures quotidiennes et des excès dont seul l’être humain a le secret.  Un lieu de non-droit où s’exaltent les pires facettes de l’homme : la violence et la soif de meurtre.

  Le navigateur Roland Vilella débarque sur l’île en 2004, alors que celle-ci est en voie de fermeture. Il y rencontre les quelque soixante bagnards encore présents dans l’île et qui attendent en vain, le jour de leur libération. Par l’intermédiaire de l’un d’entre eux, Albert, prisonnier cultivé à la mémoire exceptionnelle, l’auteur va retracer tout au long du livre l’histoire du bagne marqué par la violence et le sang. Un récit-témoignage bouleversant qui sera l’occasion, au-delà du caractère historique, de réflexion philosophique sur l’homme, son rapport au bien, au mal et les conditions nécessaires à la naissance d’une amitié dans ce contexte si spéciale. Une œuvre qui, soutenue par un style délicat et maitrisé, saura s’accrocher entre vos doigts jusqu’à que vous ayez tourné la dernière page.

Mr Mondialisation a rencontré pour vous l’auteur, à Bordeaux, lors de la remise du Prix du Réel. L’occasion, pour vous comme pour nous, d’en apprendre un peu plus sur cet écrivain pas comme les autres.

Qui êtes-vous, Roland Vilella ?

Je me définis comme un marin voyageur qui parcourt le monde depuis 25 ans, ce qui ressemble à du toujours ; avec une particularité, c’est que je suis un voyageur engagé. Je préfère les hommes aux paysages. C’est pourquoi je suis impliqué dans beaucoup d’affaires à Madagascar, des histoires dont je me suis mêlé et qui m’ont rapporté quelques problèmes et beaucoup d’ennemies, notamment au sein du gouvernement malgache.

Au milieu de cette vie de navigateur, quelle-est la place de la littérature ?

La Sentinelle de fer est le troisième livre que je commets. Cependant, je suis plus occupé à vivre la vie qu’à la raconter, ce qui fait que la littérature vient un peu après tout le reste. Je ne suis jamais dans la fiction, il y a tellement de choses extraordinaires qui se passent autour de moi que je ne vois vraiment pas l’intérêt d’inventer, la fiction n’arrivera jamais à la hauteur de la réalité que j’observe. Après, je suis un très grand lecteur, j’aime les livres et ils m’accompagnent partout où je vais, chez moi comme sur mon bateau. L’envie d’écrire, elle, a toujours était plus ou moins là. Lors d’un voyage en mer rouge, on m’avait demandé de faire un compte rendu sur mon périple. Au fil du temps, le livre de bord s’est étoffé pour finalement devenir un livre tout court. J’écris assez facilement. Je ne souffre pas du syndrome de la page blanche car j’ai toujours tout sous les yeux. En revanche, ce dernier livre m’a beaucoup coûté tant au niveau du travail que de l’affectif. Après la mort d’Albert, l’un des bagnards que j’interroge et avec qui je m’étais lié d’amitié, j’ai abandonné le livre dans un coin et j’ai filé en Amérique du sud. Mais je ne pouvais pas laisser la parole de ces hommes tomber dans l’oublie, j’avais la sensation d’avoir une responsabilité, c’est la raison pour laquelle je me suis remis au travail pour écrire ce livre.

 En France, entrer dan une prison comme vous l’avez fait, cela parait impensable. Comment avez-vous fait pour entrer à Nosy-Lava ?

En effet en France cela est impensable, mais là nous sommes en Afrique, il est donc beaucoup plus simple d’infiltrer une prison. De plus, quand j’arrive à Nosy-Lava, nous sommes en 2004, c’est-à-dire que la période d’horreur du bagne est terminée. La prison est en voie de fermeture ; on passe de 600 prisonniers dans les grandes heures de l’île à 60 détenus lors de mon arrivée. Après, ne reste que les gardiens, mais j’ai l’habitude d’en faire mon affaire. Je parle également d’une autre prison où je m’infiltre dans le livre, celle de Antananarivo. J’utilise alors une couverture, je me présente comme un universitaire spécialiste du milieu carcéral, cherchant à faire une étude. Ce statut d’universitaire conjugué à ma couleur de peau rend les choses plus faciles. Les bagnes africains sont donc tout sauf inviolables.

Parlez-nous d’Albert ! Ce bagnard est présenté comme la mémoire de Nosy-lava, pouvez-vous nous en dire plus ?

Je rencontre Albert lors de ma venue sur l’île. L’une des premières choses qu’il me demande est un exemplaire du journal le Monde. Un homme cultivé avec un certain niveau d’étude, et qui parlait très bien le français, cela a tout de suite piqué ma curiosité. C’était un homme condamné à perpétuité pour avoir commis huit meurtres dans des braquages. Au départ, une amitié entre nous semblait impossible. Pour ma part, les relations réclament beaucoup du temps alors que de son côté, devenir ami avec un blanc, qui plus est, tandis qu’il est lui-même un bagnard, c’était inimaginable.  Ce qui a rendu notre amitié possible c’est le trajet que fait Albert du crime à la  repentance. Il a eu l’occasion de s’enfuir du bagne une fois, avec des camarades, mais figurez-vous qu’il a préféré retourner au bagne pour purger sa peine. J’imagine que l’image des autres assassins dont il subissait les violences, à savoir les gardiens de la prison, lui renvoyait à lui-même les propres horreurs qui l’avaient mené ici.  C’est ce qui faisait de lui un personnage inquiétant mais droit, un homme qui se souciait des autres. Il était la personne par qui je passais pour communiquer avec les autres bagnards et vice versa.

Votre livre questionne également le regard que l’on porte sur l’homme en général et sur les meurtriers en particulier. Vous nouez des liens avec des bagnards condamnés pour des assassinats, il y a de l’autre côté des surveillants pénitentiaires, représentant de l’Etat, mais qui n’en sont pas  moins friand de barbarie, ce sont les frontières entre le bien et le mal qui sont complètement bousculées ?

Il y a des sortes de règles morales qui ont cours sur le bagne. Tous les détenus ne s’y plient pas, naturellement, mais c’est assez curieux de voir que certains bagnards, qui ont eu des comportements aux antipodes d’une quelconques moralité dans leurs vies antérieurs à leur enfermement, la découvre une fois enfermés. Le livre que j’ai écris est un livre difficile, très noir, mais le fait que dans un endroit où ne se côtoient que des meurtriers, on trouve néanmoins un retour de la morale, c’est une preuve qu’il y a toujours de l’espoir, même dans les pires endroits comme celui-ci. Ensuite, la raison pour laquelle je deviens amis avec un assassin comme Albert et non avec un gardien comme Mouja (l’un des gardiens les plus violents de Nosy-lava), c’est, comme je l’ai dit avant, ce chemin qu’à fait le premier, du crime à la repentance.  Je trouve ça normal que des meurtriers soient enfermés, et je le dit à Albert à un moment dans le livre, je lui dis : « tu l’as pas volé », ce à quoi il me répond : « après trente années, je crois avoir payé ». Je pense qu’il a raison, il faut toujours laissé une porte de sortie aux hommes, mais avant d’atteindre cette porte de sortie, il faut d’abord que les criminels soient punis, et surtout, qu’ils acceptent leur peines. C’est là, une grande différence entre les horreurs commis par les gardes en toute impunité et celle commis par les bagnards dont ils se repentent par le biais de leur condamnation. Jamais les prisonniers que j’ai rencontré n’ont remis en cause leur enfermement, simplement la manière dont ils ont été enfermé, soumis à la torture et la mort en permanence, ce n’est pas comme ça que l’on condamne quelqu’un.

T.B.

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