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Billet de blog 6 novembre 2017

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A Nantes, pour s’affranchir du géant Deliveroo, des coursiers lancent leur plateforme

Des bikers de la start-up Deliveroo lancent leur propre plateforme de livraison de repas à vélo. Une alternative à l’ubérisation qui vise à conserver les bienfaits de la livraison en bicyclette tout en mettant un terme à l’hégémonie du géant anglais

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Deliveroo, Foodora, Uber-eats, si vous habitez dans une grande ville française, ces noms vous sont probablement familiers. En effet, difficile aujourd’hui de se  balader en centre-ville sans manquer de se faire aplatir par ces cyclistes toujours pressés, armé de grand coffre juché sur le dos. Arpentant les grandes métropoles européennes en avalant des dizaines de kilomètres chaque soir, ces coursiers ont pour but de faire des livraisons à domicile pour des grandes plateformes chargées de mettre en relation des restaurateurs avec des particuliers.

Cet été, le leadeur du marché, Deliveroo, s’est fait tristement connaître à cause des nombreuses manifestations de ses « collaborateurs » à travers la France. Au cœur de la discorde, une nouvelle transformation des conditions de rémunération, passant d’un prix fixe à l’heure accompagné d’un bonus par livraison à une tarification unique de cinq euros par repas livré. La start-up au kangourou peut, en effet, s’en donner à cœur joie ; les bikers ne sont pas ses salariés mais des auto-entrepreneurs travaillant à leur compte et offrant leurs jambes et leur sueur à la plateforme anglaise. De ce fait, elle peut modifier les salaires à son gré sans qu’aucune règle du droit français ne vienne lui demander des comptes.

En réaction à ce nouveau modèle qui s’assoit sur toutes les normes sociales en vigueur sur le territoire, partout dans l’hexagone, des coursiers s’affranchissent des mastodontes du secteur en montant leurs propres plateformes de livraison. Prônant une rémunération plus équitable des  bikers  et un service plus soigné et diversifié, Christophe Lebail et Léo Tshan nous en disent plus sur « les Bikers nantais » une initiative créée dans la Cité des ducs, sous la forme d’une association.

 Comment en êtes-vous venu à travailler pour des Food-techs comme Deliveroo  ?

Christophe : Au début ce n’était pas Deliveroo mais Take-eat-easy. Pour moi ça s’est fait complètement par hasard, j’avais besoin de rebondir sur un petit boulot, je ne savais pas du tout quoi faire ; j’ai vu des types à vélo avec des coffres sur le dos, je me suis dit « tiens qu’est-ce qu’ils font ». Personnellement, j’aimais bien pédaler, je me suis dis pourquoi pas se lancer.

Léo : Pour ma part, en arrivant sur Nantes, il y a 5 ans, je voulais travailler en parallèle de me études. J’avais de quoi vivre, mais je souhaitais me faire des petits bonus. Débarquant de la campagne, j’ai tout de suite pensé aux coursiers à vélo car j’avais vu des reportages sur les  bike messenger (livreur de colis et de documents à vélo). Malheureusement sur Nantes il n’y avait rien ou presque. Quelques années plus tard, les plateformes de livraison se sont lancées dans la ville, les unes après les autres. L’information à vite circulé sur les réseaux sociaux. Un jour, j’ai  vu un post « livre des repas à vélos sur ton temps libre », j’ai foncé tout de suite.

Et quid de votre expérience ?

Léo : L’idée de gagner des sous en pédalant me plaisait mais je ne savais rien du système de ces plateformes, de leur modèle économique bancale et des failles juridiques qu’elles exploitaient. A l’époque, je suis entré chez Take Eat Easy, un concurrent de Deliveroo, qui a fait faillite depuis. Cela fait maintenant deux ans que je fais ce travail, dont un an et demi pour la plateforme Deliveroo. L’évolution a été, en tout point, fulgurante. On est passé d’une petite poignée de passionnés de vélo à plus de 500 coursiers dont certains maitrisaient à peine leurs deux-roues. Il y a deux ans, à Nantes, deliveroo était un terme inconnu de tous. Aujourd’hui c’est presque devenu un mot du dictionnaire. Les gens « se commande un Deliveroo » comme on proposait de se faire un restau entre amis auparavant.

Christophe : Du point de vue financier, les plateformes comme Deliveroo fonctionnent relativement bien. Pour être très clair, un mec qui bosse à plein temps, entre 35 et 40 heures, peut se faire un salaire mensuel de 1 500 euros net, ça reste honorable. Il faut regarder aussi les avantages qu’offrent se type d’emploi : tu travailles quand tu veux, pas de patron sur le dos, pas de CV ni d’entretient d’embauche, c’est pour ça qu’il y a énormément de gens qui pratiquent cette activité. Après, c’est sûr qu’il y a une forme de précarité liée au statut de travailleur indépendant. Le modèle que propose ces entreprises ubérisantes, il y aurait de quoi écrire un roman car c’est une véritable supercherie.

Léo : Qui dit croissance exponentielle dit gros investissement, et de ce fait Deliveroo a cherché à réaliser des économies un peu partout. C’est pourquoi la rémunération des coursiers a subi une sévère cure d’amaigrissement  avec la suppression de l’évolution suivant l’ancienneté, la fin des bonus, l’abolition des minimums horaire garantis.

Justement, quel regard portez-vous sur ce modèle d’auto-entreprise ?

Christophe : Ce n’est pas facile comme question, car il y a deux facettes sur une même réalité. D’un côté, les plateformes ont crée du travail pour plein de gens, elles ont énormément dynamisé le secteur de la restauration. C’est quand-même de l’argent qui retourne dans l’économie locale car ce sont les restaurants qui voient croitre leur chiffre d’affaires ; puis il y a les livreurs qui travaillent, dans un contexte de chômage de masse, c’est un facteur qui est loin d’être négligeable. Après, le côté négatif, c’est justement ce statut qui n’est pas du salariat. Certes, tu vas faire un chiffre d’affaire, mais derrière tu perds quelque chose dont tu n’as pas forcément conscience. Ce sont les charges salariales qui permettent de faire vivre un pays, de payer des institutions, des hôpitaux. Concernant ton statut de travailleur, tu ne cotises que très peu pour la retraite et le chômage, ce sont des réalités que l’on peut avoir du mal à percevoir sur le court terme. 

Léo : C’est un statut utile selon moi. Il permet à quelqu’un qui à un projet de l’expérimenter sans prendre trop de risques mais aujourd’hui l’utilisation qui en est faite va trop loin. Les plateformes ont recours aux services d’auto-entrepreneurs car cela les exonère de charges salariales.  Les coursiers jouissent grâce à ce statut d’une certaine flexibilité horaire idéale pour mener des études ou un autre travail en parallèle, néanmoins ce statut précarise beaucoup, il ne permet pas de présenter des garanties suffisantes devant un banquier ou un propriétaire. Il oblige à payer de lourdes charges auprès du très controversé RSI (La caisse de sécurité sociale des indépendants) et n’offre que peu ou pas de garanties concernant le chômage, la retraite ou les arrêts maladies. Beaucoup de gens ne sont pas conscients de cela, il faut s’informer avant de se lancer en tant qu’auto-entrepreneur. En ce qui me concerne ce statut d’indépendant m’a convenu mais je pense qu’il doit absolument être réformé, nous devons être mieux protégés, et les plates formes doivent jouer le jeu.

 Les médias ont souvent présenté le travail de coursier comme un "boulot de merde". Pourtant, en mettant le deux-roues au cœur de votre initiative, vous prouvez qu'il y a un réel engouement pour ce sport. Quel rapport entretenez-vous avec le vélo ?

Léo : Je pratique le cyclisme depuis mon enfance, même lorsque je ne travaille pas je prends mon vélo et je vais m’entrainer ou faire une compétition. Pour comprendre les coursiers à vélo il faut imaginer que pour eux pédaler est une drogue à accoutumance. Ils ne réclament pas moins de travail ou un travail moins difficile, ils veulent juste un autre système, plus humain, plus sécurisant pour leur emploi et leur salaire et leurs droits sociaux. Les nombreux articles et reportages dans les médias ces derniers temps vont dans le bon sens, ils soulèvent les problèmes que posent ce système de plates formes numériques ayant recours à des autos entrepreneurs c’est à dire l’uberisation. Mais ce qui est dommage c’est qu’ils tombent toujours dans la caricature ( « les esclaves du XXIè siècle » etc.. ), il y avait et il y a toujours des coursiers salariés ou indépendant mais non uberisés, (dans les grandes villes notamment), c’est vers ça qu’il faut se réorienter ; coursier à vélo est tout sauf un boulot de merde, c’est un boulot physique certes mais ce qu’il faut que les médias comprennent c’est que le vélo peut aussi être une passion et quoi de mieux que de faire de sa passion son métier ? J’ai déjà travaillé en tant que salarié dans plusieurs secteurs, (usine à la chaine, bureaux, magasins de sport) mais je ne me suis jamais senti aussi libre qu’en étant coursier à vélo donc on ne peut pas dire que les coursiers à vélo, même uberisés sont les esclaves du XXIè siècle, c’est simplement un travail réservé aux gens qui aiment faire du vélo sinon je conçois que ça doit être une véritable corvée. Et puis il y a la facette extra professionnelle de ce métier qui est aussi primordiale et qui permet de comprendre la mentalité des coursiers, c’est par exemple se retrouver tous les soirs sans exception autour d’un verre en terrasse pour échanger, raconter les anecdotes de la journée, décompresser, aider un collègue qui à eu un problème, c’est une communauté soudée de laquelle émane une grande solidarité, il existe un véritable esprit du coursier qui se retrouve dans très peu d’autre professions.

T.B.

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