Dissiper la confusion pour lutter contre l’antisémitisme
Les médias ont récemment fait état du calvaire enduré depuis deux mois par Nancy, victime dans l’immeuble qu’elle habite de menaces et de harcèlement antisémites. Le fait que ces agressions aient été perpétrées dans le même immeuble que celui qu’occupait Mireille Knoll, victime en 2018 d’un assassinat motivé par l’antisémitisme, ne peut qu’accentuer la dimension traumatique de ces événements. Nous tenons à apporter tout notre soutien à Nancy. Les inscriptions laissées sur sa porte comme le message que lui ont adressé ses agresseurs ne laissent aucun doute quant à leur nature : magen David dessinée à la peinture rouge sur sa porte, “sale juif” tagué dans son ascenseur, “tu vas souffrir” écrit en arabe sur un papier glissé sous sa porte, encadré de croix gammées et de magen David.
Perversité particulière de cette agression ignoble, ce dernier élément relève manifestement du leurre, la formule inscrite d’une main peu habituée aux caractères arabes étant la simple reproduction de celle proposée par Google translate, et ne correspondant en aucune manière à ce que serait cette phrase correctement traduite. Ce type de tromperie est caractéristique du mode opératoire de l’extrême-droite, et est doublement raciste : d’une part parce qu’elle constitue en elle-même une agression antisémite, de l’autre parce qu’elle nourrit l’islamophobie générale en apportant du grain à moudre à l’hypothèse raciste du “nouvel antisémitisme”. Le vandalisme du Mur des Justes du mémorial de la Shoah en mai dernier, sur lequel des mains rouges avaient été peintes, relevait déjà du même type de manipulation, les médias mainstreams et les soutiens du projet sionistes s’étant empressé d’accuser le mouvement pro-palestinien, alors même que l’enquête avait finalement établi que les auteurs de ces dégradations étaient en réalité des militants d’extrême-droite.
Peut-être plus grave encore, l’agression dont a été victime Nancy a donné lieu à un nombre inquiétant de messages l’accusant d’avoir été elle-même l’autrice de ces menaces, dans le but de se victimiser, leurs auteurs moquant là un acte “d’auto-sémitisme”. Ce type d’accusations, en elles-mêmes antisémites, sont le fait d’individus qui semblent avoir intégré le mythe du “nouvel antisémitisme” : seuls des Arabes auraient pu être les auteurs de ces actes, et tel n’étant manifestement pas le cas, l’acte en lui-même n’a pas pu exister. On perçoit dans ce raisonnement inepte l’une des principales conséquences de cette falsification : les principaux thuriféraires de la suprématie blanche, en l’occurrence l’extrême-droite, se retrouvent dédouanés à bon compte.
Ces accusations indignes témoignent en outre des ravages produits par l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme. A force de ne voir utiliser cette cause que pour brocarder les musulmans de France et les soutiens de la Palestine, un certains nombre de personnes en viennent à considérer que l’antisémitisme n’est qu’un mythe mobilisé par les Juifs pour se victimiser.
Là encore, le deux poids deux mesures délétère qui conduit les médias mainstream et l’essentiel de la classe politique à ne pratiquement pas publiciser les actes islamophobes, comme l’incendie récent de la mosquée d’Amiens, tout en prétendant affronter pleinement la question de l’antisémitisme, conduit en réalité à mettre les Juif.ves de France en danger. Dans un contexte de fascisation de la société, marqué par une libération de la parole et une explosions des actes racistes, tant antisémites qu’islamophobe, négrophobe, rromophobe, etc., il est plus urgent que jamais d’oeuvrer à développer les solidarités encore fragiles entre l’ensemble des groupes visés par la suprématie blanche, dont les Juif.ves font partis. A ce titre, nous affirmons avec la plus grande force que la lutte contre l’antisémitisme et le soutien inconditionnel apporté à ses victimes ne peut se passer d’une analyse rigoureuse des manoeuvres d’instrumentalisation opérées par l’Etat et une bonne partie de la classe politique qui en réalités nourrissent l’antisémitisme, ainsi que d’une lutte contre le racisme dans son ensemble.