La guerre civile qui déchire le Soudan a coûté la vie à plus de 150 000 personnes depuis 2023, et provoqué près d’une dizaine de millions de déplacé·es. Pire crise humanitaire actuelle au yeux des Nations-Unies, les violences de masse ont atteint ces derniers jours de nouveaux sommets. Assiégée depuis plus d’un an et demi, la ville d’El Fasher, a été le théâtre de l’exécution de près de 2 000 personnes par les Forces de Soutien Rapide (FSR), héritières des milices janjawids qui, entre 2003 et 2020, avaient mis en oeuvre un véritable génocide au service de l’ancien président Omar El-Béchir. Acteur essentiel du conflit en cours, les FSR bénéficient notamment de l’appui financier et militaire des Émirats Arabes Unis, partenaire économique et militaire important de la France.
Indépendant à partir de 1956, le Soudan a été meurtri par plusieurs guerres dévastatrices au cours de son histoire récente : deux conflits consécutifs dans le sud du pays, d’abord entre 1953 et 1972, puis entre 1983 et 2005. Cette deuxième guerre a provoqué des centaines de milliers de mort·es et conduit à la partition du pays en deux États. L’indépendance du Soudan du Sud n’a pas pour autant permis de ramener la paix dans la région, le pays demeurant en guerre depuis sa création.
En 2003, une autre guerre éclate dans la région du Darfour, qui représente près d’un quart du territoire du Soudan actuel. Les populations locales, désignées comme “africaines” et “non-arabes” par l’idéologie suprémaciste et négrophobe du président El-Béchir, en vertu de représentations ethniques largement héritées de la colonisation britannique, se soulèvent face aux persécutions et discriminations mises en place à leur encontre. Les milices janjawids, soutenues et armées par le régime, mettent alors en œuvre un nettoyage ethnique faisant plus de 300 000 victimes, et pouvant être considéré comme le premier génocide du XXIe siècle.
En raison de sa responsabilité dans ces massacres, des poursuites sont engagées par la Cour Pénale Internationale contre Omar El-Béchir, ce qui n’empêche nullement la France de maintenir des relations discrètes avec Khartoum tout au long de sa présidence. Selon des rapports de l’ONU, la banque BNP-Paribas aurait notamment facilité les échanges commerciaux et financiers avec le régime entre la fin des années 1990 et 2000.
Malgré le mandat d’arrêt international délivré contre El-Béchir, les autorités françaises iront en outre jusqu’à ficher, expulser et même livrer certain·es de ses opposant·es politiques réfugié·es sur le territoire national.
Dans le cadre de sa guerre contre les exilé·es et de sa politique de sous-traitance de la répression migratoire par les États du Sud frontaliers, l’Union Européenne met par ailleurs en place un partenariat avec l’armée soudanaise en 2014. Celle-ci choisit alors de confier la “protection” de la frontière soudano-libyenne aux janjawids, que cette mission contribue à enrichir considérablement.
En 2019, après des mois de mobilisations, une révolution populaire pousse l’armée à mettre un terme au règne d’El-Béchir, en place depuis 1989.
Le conseil de transition entame alors des négociations en vue de remettre le pouvoir à des autorités civiles, mais ce processus est interrompu en 2021 par un coup d’État mené par l’armée soudanaise, avec à sa tête une figure de l’ancien régime, le général Abdel Fattah Al-Bourhane. Homme le plus riche du pays, son ancien adjoint, le milicien génocidaire janjawid Mohamed Hamdan Dagalo dit “Hemedti” devient le numéro 2 du nouveau pouvoir. Des tensions apparaissent pourtant rapidement entre les deux hommes, notamment autour de la question de l’intégration dans l’armée soudanaise des FSR fidèles à Hemedti. Une guerre ouverte entre les deux camps éclate finalement en avril 2023.
Depuis, les massacres se multiplient et la situation semble aujourd’hui incontrôlable. Les exactions qui ont ensanglanté la ville d’El Fasher ces derniers jours, en particulier les exécutions de masse, ont été filmées, publiées et ouvertement revendiquées par les FSR, à travers un certain nombre d’influenceurs à leur service sur les réseaux sociaux.
Comme à son habitude, le Quai d’Orsay s’est contenté d’une condamnation de pure forme, qui témoigne en réalité d’une complaisance d’autant plus dramatique que des entreprises françaises sont directement impliquées dans ces crimes.
En novembre 2024, un rapport d’Amnesty International mettait notamment en lumière l’utilisation par les FSR d’équipements militaires français, tels que le système Galix déployé sur leurs véhicules blindés, mis au point et produit par les groupes Lacroix Défense et KDN-France. C’est par la livraison de matériel militaire aux Émirats Arabes Unis, principal sponsor des FSR, que les divers équipements français se retrouvent ainsi mobilisés pour commettre ces crimes de masse. Entre 2014 et 2023, le montant des exportations du complexe militaro-industriel français vers Abou-Dhabi s’élevait à 2,6 milliards d'euros. Il dépassait les 8,5 milliards d’euros en 2024.
Ce n’est pas la première fois que les partenariats militaires juteux noués entre le complexe militaro-industriel français et les pétromonarchies du golfe conduisent à ce que des violences de masses soient perpétrées à l’aide d’armes françaises. Les révélations du média Disclose en 2018 sur l’utilisation d’armes françaises par l’Arabie Saoudite dans le cadre de la guerre au Yémen avaient ainsi conduit à l’ouverture d’une instruction judiciaire contre les entreprises d'armement Dassault Aviation, Thalès Group et MBDA pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.
Loin d’être le fruit d’un simple conflit entre chefs de guerre locaux, la soit-disant “guerre civile” soudanaise est la conséquence directe des rivalités entre les grandes puissances impérialistes et leurs intermédiaires pour l’accaparement des ressources d’une région riche en or, en pétrole, en uranium, en chrome, en cuivre, en fer et en diamant. Ce type de guerres “régionales” constitue en outre un maillon essentiel du sinistre commerce des armes au niveau mondial. Se déroulant dans une indifférence médiatique presque générale, elles sont pour les entreprises d’armement autant de théâtres sur lesquels démontrer à de potentiels clients l’efficacité de leurs produits.
En tant que militant·es au cœur du système impérialiste occidental, et en l’occurrence de l’impérialisme français, il nous appartient de lutter pour mettre en lumière ces complicités et faire pression sur nos États afin de faire cesser ces crimes. Dans cette perspective, Tsedek! réitère son soutien inconditionnel au peuple soudanais et appelle à rejoindre et à soutenir l’ensemble des mobilisations en sa faveur.