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Billet de blog 9 novembre 2024

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Nuit de cristal : pogrom d’État et passivité internationale

La nuit du 9 au 10 Novembre 1938, l’Allemagne nazie lançait à l’échelle nationale le pogrom antisémite connu sous le nom de « Nuit de cristal », en référence aux vitres brisées des commerces et habitations juives. Ces événements marquent le franchissement d’une étape importante dans la radicalisation des violences antisémites nazies, qui conduisirent finalement à la Shoah.

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Nuit de cristal, pogrom d’État et passivité internationale 

La nuit du 9 au 10 Novembre 1938, l’Allemagne nazie lançait à l’échelle nationale le pogrom antisémite connu sous le nom de « Nuit de cristal », en référence aux vitres brisées des commerces et habitations juives. Ces événements marquent le franchissement d’une étape importante dans la radicalisation des violences antisémites nazies, qui conduisirent finalement à la Shoah.

Suite à l’expulsion de nombreux.ses Juif.ves polonais.es d’Allemagne, le secrétaire de l’ambassade d’Allemagne à Paris Ernst vom Rath est assassiné par Herschel Grynszpan, lui-même Juif d’origine polonaise. Cet acte de résistance devient pour la presse allemande la preuve de l’existence d’un complot juif mondial, et est aussitôt instrumentalisé par le régime.

Des premières émeutes racistes éclatent  à Hanovre, à Munich, en Saxe-Anhalt et en Hesse-Cassel dès le 8 novembre entre 19h et 21h sous l’impulsion des sections locales du parti nazi, avant même que des ordres ne soient transmis par leurs dirigeants et que le décès de vom Rath ne soit confirmé. Dans le but de faire passer le pogrom pour une réaction populaire spontanée, Adolf Hitler attend la mort du secrétaire d’ambassade pour réagir. Ce pogrom n’en est pas moins souhaité et attendu par le régime, qui saute sur l’occasion offerte par la mort de vom Rath pour donner libre cours à son antisémitisme.  

Cette soi-disant “réaction populaire” est ainsi organisée par Joseph Goebbels, ministre de la propagande, mise en place par les SA et les SS, et soutenue par les Jeunesses Hitlériennes et la Gestapo. Des consignes émanant de chacun de ces organes sont successivement diffusées à partir de 22h00. Des objectifs chiffrés de victimes et de destruction sont explicitement formulés. 

Appuyé du chef de la Gestapo, Heinrich Müller,  le directeur de  l’Office central de la sécurité du Reich  Reinhard Heydrich, ordonne la déportation d’entre 20 000 à 30 000 Juif.ves, et souligne la nécessité « de trouver le personnel nécessaire pour [en] arrêter autant [...], surtout fortunés, que peuvent en accueillir les prisons ».

La population ainsi encouragée participe massivement aux exactions et attaques de logements, commerces, et lieux communautaires que fréquentent des Juif.ves. L’implication de civil.e.s aux côtés des SS et SA est abondamment documentée. 

Entre la nuit du 9 et la matinée du 11 Novembre 1938, plus de 7500 commerces sont attaqués, et une centaine de synagogues sont détruites. Entre 2000 et 2500 Juif.ves sont tué.e.s, et 70 000 sont déporté.e.s vers les camps de concentration. 80 000 fuient l'Allemagne.

L’approbation et la participation de la majorité des Allemand.e.s, ainsi que le silence complice des autres contribuent à l’accélération du projet nazi.

Au lendemain du pogrom, les indemnités versées par les assureurs sont réquisitionnées et les commerces juifs endommagés, détruits ou pillés doivent être donnés à l’État. Les propriétaires et gérants juifs sont en outre contraints de verser à titre d’assurance « une amende globale » d’un milliard de Reichsmarks.

Les condamnations, y compris pour meurtres, sont rares et minimes. 

Le 12 novembre, Adolf Hitler convoque une réunion exceptionnelle en présence des hauts cadres nazis. Entre novembre et janvier, une série de lois prolongeant celles de Nuremberg de 1935 visent à empêcher toute présence juive dans l’espace public : exclusion de l’aide sociale, interdiction d’exercer la plupart des métiers et loisirs, et d’accéder à la plupart des lieux publics, etc. 

Hermann Göring ratifie également une loi décrétant la fin de toute activité commerciale pour les Juif.ves à partir du 1er janvier 1939, qui marque le début de « l’aryanisation » des biens juifs : entreprises, œuvres d’arts, bijoux, objets personnels, vêtements, sont vendus de force et spoliés. 

Malgré une condamnation à peu près unanime de la Nuit de Cristal dans la presse internationale, les nations européennes et les Etats-Unis restent indifférents au sort de plus en plus évident qu’Hitler réserve aux populations juives. Les Etats occidentaux refusent ainsi d’ouvrir leurs frontières et d’accueillir davantage de réfugié.es.

Cet épisode effroyable de l’histoire occidentale doit nous rappeler que l’histoire de la presque totalité des pays d’Europe est traversée par une tradition pogromiste et profondément antisémite. 

L’ascension actuelle de l’extrême-droite partout sur la planète doit nous alarmer. 

Si elle n’a pour le moment pas la capacité de mettre en œuvre des projets similaires dans le monde occidental même lorsqu’elle parvient au pouvoir, l’Histoire nous apprend que des basculements peuvent survenir rapidement.

Les récentes émeutes racistes en Angleterre, ainsi que des tentatives similaires en Allemagne contre les migrant.es et en France après les morts de Thomas ou Philippine se sont appuyées sur une stratégie identique d’exploitation de faits divers pour s’en prendre aux minorités.

La réélection de Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale, qui n’hésite pas à revendiquer ses accointances avec des groupes suprémacistes blancs lourdement armés, laisse augurer d’une période bien sombre.

S’ils doivent nous alerter, ces événements restent bien évidemment incomparables par leur ampleur avec la Nuit de cristal, organisée et ordonnée par une superstructure étatique à l’échelle d’une nation toute entière. 

Il faut cependant également rappeler qu’aujourd’hui, certains chefs d’État ne cachent pas leurs velléités pogromistes. C’est par exemple le cas en Inde, où le premier ministre Narendra Modi a lui-même organisé en 2002 des émeutes racistes contre les populations musulmanes de l’Etat du Gujarat ayant fait environ 2000 victimes. C’est également le cas en Turquie, où le président Recep Tayyip Erdogan appuie des groupes nationalistes tels que les Loups Gris qui s’en prennent régulièrement aux minorités kurdes, ou encore en Israël où Benjamin Nethanyahu peut commettre un génocide à Gaza en bénéficiant du soutien inconditionnel de l’Occident, et où des milices armées de colons supremacistes sévissent en toute impunité en Cisjordanie. 

Les condamnations internationales seules sont aujourd’hui aussi inutiles qu’hier pour endiguer réellement ces violences, comme le montre le cas des Rohingyas en Birmanie, des Ouïghours en Chine ou des Palestiniens. 

Faute d’être actualisée, la mémoire n’est qu’une autre modalité de l’oubli. Si elle doit être autre chose que l’incantation vide de sens qui permet à l’Occident de se donner bonne conscience, elle doit nous inciter à agir pour empêcher que ne soient reproduits aujourd’hui les crimes d’hier. A nous qui avons le souci de nos mort.e.s, elle est un appel à la lutte, ici et maintenant. 

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