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Billet de blog 10 janvier 2025

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La mort de Jean Marie Le Pen est un non-événement : le lepénisme demeure

Jean-Marie Le Pen est un pur produit de la France et son histoire, et son héritage informe aujourd’hui notre présent.

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La mort de Jean Marie Le Pen est un non-événement : le lepénisme demeure

La mort de Jean-Marie Le Pen à 96 ans est un non-événement prévisible et un détail de l’histoire. En dépit d’une mobilisation spontanée d’une partie de la jeunesse de gauche désireuse d’exprimer sa joie, elle ne constitue en rien une victoire. Le Pen est mort paisiblement à 96 ans, sans jamais avoir été inquiété, et alors même que les idées qu’il a portées toute sa vie sont en passe de devenir hégémoniques au sein du champ politique et de la société française. 

Sans surprise, les réactions d’une partie de la classe politique et le traitement des médias mainstreams témoignent d’une détestable complaisance envers celui qui fut pendant de longues années considéré à juste titre comme  infréquentable. 

Il est profondément insultant de devoir rappeler que les propos de Jean-Marie Le Pen n’étaient pas des « dérapages » ou des « polémiques », mais une ligne politique portée sans interruption par un ancien tortionnaire raciste, antisémite et négationniste, qui a fondé un parti avec des SS et des membres de l’OAS. Minimiser ces faits voire les passer sous silence revient à nier cette identité politique et à banaliser ces idées.

Jean-Marie Le Pen commence son activisme en fréquentant l’Action Française, groupe royaliste et maurrassien.

En 1963, il cofonde la SERP (La Société d'études et de relations publiques), maison de disque qui valorise notamment le nazisme et la colonisation française en Algérie, en éditant par exemple des discours d’Adolf Hitler et de Philippe Pétain, des enregistrements de meetings fascistes ou des chants de la légion.

Artisan de la renaissance de l’extrême-droite française d’après-guerre, il fonde le Front National, dont la composition rassemble des collaborateurs de l’Allemagne nazie, d’anciens miliciens ou Waffen-SS, des membres de l’OAS, des poujadistes, des catholiques fondamentalistes, des royalistes et des personnalités liées à la pègre.

Tout au long de sa carrière politique il affirme un antisémitisme décomplexé, tenant parfois des propos niant l’existence des chambres à gaz, ou les considérant comme « un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ». Parallèlement, il multiplie les hommages et références à des figures nationalistes, des provocation racistes (déclarant par exemple croire en “l’inégalité des races”), fréquentant des figures liées au GUD ou parrainant l’un des enfants de Dieudonné. En septembre dernier encore, Le Pen invitait un groupe de musiciens liés à l’organisation néonazie Blood and Honour dans sa résidence personnelle. 

Engagé de son propre chef chez les parachutistes durant la guerre d’Indochine, il prend ensuite part à la guerre d’Algérie où il revendique le fait d’avoir pratiqué la torture, avant de se rétracter quelques années plus tard. Pourtant ses actes sont documentés dans l’ouvrage de Fabrice Riceputi « Le Pen et la torture : Alger, 1957, l'histoire contre l'oubli » et par des témoignages vidéos d’anciennes victimes.

Par la suite, Jean-Marie Le Pen a toujours bénéficié d’excellentes relations avec des dictateurs tels que Saddam Hussein et divers chefs d’États liés à la Françafrique. 

Une autre facette largement ignorée de ce sinistre personnage sont ses liens avec le grand banditisme, notamment avec Henri Botey, figure du proxénétisme et parrain de sa fille Marine, ou encore ses liens avec les réseaux mafieux s’étant fait pour spécialité de recycler des anciens de l’OAS, dont certains sont toujours florissants, notamment dans le Var.

Les tentatives d’humaniser Jean-Marie Le Pen ne datent pas d’hier, comme en atteste la série de documentaires réalisée dans les années 90/2000 par « son ami juif » Serge Moati. 

Si nous devons évidemment interroger le rôle des médias qui lui ont tant de fois permis de prendre la parole, rappelons-nous que ses idées et sa personne furent longtemps jugées indésirables.

Le décollage de sa carrière médiatique doit beaucoup au cynisme de François Mitterrand qui pousse son invitation sur Antenne 2 dans l’objectif de diviser la droite. 

Depuis les années 1980 pourtant, ses apparitions sont de plus en plus récurrentes, et ses thèmes de prédilections s’imposent comme des sujets centraux du débat public, ce qui explique en partie sa qualification pour le second tour de l’élection présidentielle de 2002 : l’insécurité, l’immigration, et depuis les années 2000, l’islamophobie.   

Dès lors, la bataille hégémonique a largement été remportée par l’extrême-droite : ses idées ont contaminé un spectre allant d’une partie de la gauche  à l’extrême-droite et déterminent l’actualité politique et électorale. 

Cette normalisation d’un discours raciste est aujourd’hui achevée, comme en atteste par exemple l’interview scandaleuse menée par Cyril Hanouna, Karim Zeribi et Eric Naulleau à son domicile en 2020 pour Balance ton poste !, qui dresse de lui l’image d’un grand-père sympathique, ouvert sur le monde. Après l’interview, la quasi intégralité des chroniqueurs le décrivent comme “un nouvel homme”.

Avant même sa mort, sans surprise, Jordan Bardella, président du Rassemblement national peut ainsi déclarer sans problème que Jean Marie Lepen n’a jamais été antisémite.

Les hommages se sont multipliés, émanant de figures de droite affichant plus ou moins clairement leur sympathie fasciste, de Bruno Retailleau à Eric Ciotti. Le premier ministre François Bayrou l’a pour sa part qualifié de « combattant » et Emmanuel Macron a adressé ses condoléances à sa famille.

A l’heure où le gouvernement est disposé à donner tous les gages au Rassemblement National pour durer, le parti d’extrême-dro9ite est plus que jamais aux portes du pouvoir. Jean-Marie Le Pen lui-même n’aurait sans doute pas imaginé il y a 30 ans que ses idées auraient pu s’imposer aussi facilement.

Rien d’étonnant à ce qu’aucun•e éditorialiste ou journaliste ne s’offusque des propos racistes tenus à l’antenne, comme en témoigne encore l’utilisation de la catégorie raciste et complotiste de “grand remplacement” par une figure ayant pu incarner une certaine gauche comme Daniel Cohn-Bendit.

Les mêmes médias mainstream qui instrumentalisent sans vergogne l’antisémitisme au service d’un agenda raciste et réactionnaire pour criminaliser la gauche font preuve de la plus grande précaution et abusent des euphémismes les plus dépolitisants quand il s’agit d’évoquer son parcours : sont notamment évoquées les “polémiques”, les “controverses” d’un personnage “clivant”, qui “aura marqué l’histoire de la cinquième République”. 

Jean-Marie Le Pen est un pur produit de la France et son histoire, et son héritage informe aujourd’hui notre présent. 

Si les rassemblements spontanés qui ont eu lieu dans toute la France le soir de sa mort apparaissent en partie comme un symptôme de l'impuissance politique de notre camp, ils auront au moins permis d'être à l'offensive et d'opposer au discours médiatique lénifiant ce rappel simple : de la même manière qu'on ne sert pas la main des fascistes comme si de rien n'était, il y a des raisons qui poussent à ces célébrations, s’agissant d'un ancien tortionnaire raciste et homophobe, qui aura sa vie durant oeuvré pour faire triompher son idéologie mortifère.

A travers une islamophobie d’État et une politique migratoire violente, une répression toujours plus féroce des populations racisées et des mouvements sociaux, la réhabilitation des pires penseurs et théoriciens nationalistes, et la normalisation de ses idées, l’héritage de Jean-Marie Le Pen vit encore et n’a jamais été aussi présent. 

Jonathan Ruff-Zahn

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