De quoi la nouvelle administration Trump est-elle le nom ?
Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche n’est pas un épiphénomène. Il est porté par une dynamique internationale des sphères conservatrices radicalisées et s’inscrit pleinement dans la nouvelle internationale fasciste analysée par Ugo Palheta.
Sur fond de désinformation et de confusion volontaire, Donald Trump a su profiter d’une campagne électorale où la gauche n’existe pas, faisant une fois de plus de la lutte contre l’immigration, du combat contre « l’idéologie woke » réunis autour d’une guerre pseudo-civilisationnelle raciste, des thèmes phares de la campagne.
Après avoir muselé les propositions de Bernie Sanders et coupé court à toute forme de débat autour d’une gauchisation même très partielle de sa ligne, le Parti Démocrate recule y compris dans ses fiefs. L’abandon des classes populaires joue un rôle majeur dans cette défaite même si d’autres facteurs sont à prendre en compte. Cela n’est pas sans rappeler l’Europe, où le déclin de la social-démocratie se conjugue avec sa droitisation, propulsant la montée des idées fascistes.
La première puissance mondiale se retrouve aujourd’hui en partie aux mains du milliardaire et de son clan. Ces derniers se sont emparés du Parti Républicain de manière fulgurante, et y sont très largement hégémoniques. Donald Trump incarne l’aboutissement d’un processus de durcissement des lignes ininterrompu depuis Ronald Reagan.
Si elle ne possède pas les pleins pouvoirs institutionnels, cette implantation s’impose rapidement au sein des institutions américaines et les conséquences en sont déjà visibles.
A titre d’exemple : la criminalisation de l’IVG touche dorénavant une dizaine d’Etats et sa mise en danger en concerne une vingtaine d’autres. Rien d’étonnant à ce que plusieurs ministres puissent être nommés en étant poursuivis pour des affaires d'agressions, relations sexuelles avec des mineurs et même trafics d'êtres humains.
Le président étatsunien a récompensé ses soutiens les plus fidèles en rassemblant un spectre large des composantes de l’extrême-droite américaine : libertariens, identitaires, conspirationnistes, masculinistes, alt right, ou encore néo réactionnaires en élargissant fortement son électorat dans les classes populaires et chez certaines minorités, ainsi qu’au sein de la communauté WASP. Les femmes blanches ont ainsi majoritairement voté à droite.
Le choix de certaines nominations au gouvernement paraît parfois hasardeux, accordant des postes de hautes responsabilités à des personnes sans compétences particulières dans les domaines concernés. Donald Trump y voit probablement une opportunité pour éviter d’être repris par des plus chevronnés. Ainsi, la future ministre de l’Éducation nationale est une ancienne directrice d’une fédération de catch, un antivax s’occupera de la santé, et des climatosceptiques auront l’énergie et l’environnement à charge.
Bientôt à la tête du FBI, Kash Patel qui a menti sur ses origines sociales, piètre avocat dont le complotisme bourgeois lui fait promettre de purger l’administration du “deep state”. Ses déclarations ravivent les souvenirs du règne J. Edgar Hoover et de ses nombreux abus. A la CIA, John Ratcliffe poussée par l‘influente et conservatrice Heritage Foundation aura mission d’ouvrir les portes du renseignement.
Homme le plus riche du monde, Elon Musk prend le poste de “l’efficacité gouvernementale” afin de “mener des réformes structurelles à grande échelle et de créer une approche entrepreneuriale” du gouvernement, un « classement des dépenses les plus terriblement stupides » sera publié, ce qui « sera à la fois extrêmement tragique et extrêmement divertissant ». Le patron de X, Tesla et SpaceX, suggère d'ores et déjà la suppression de postes dans la fonction publique et des aides destinées au planning familial.
Habitué à propager des fausses informations, ce dernier relaie régulièrement du contenu homophobe, transphobe, raciste et violemment anti-immigration, validant les émeutes racistes en Angleterre ou relayant des tweets appelant au harcèlement de ses adversaires politiques sur fond de fausses accusations de pédophilie.
En novembre 2023, Elon Musk approuvait par exemple un tweet stipulant que, "les communautés juives prônent la même haine dialectique contre les Blancs qu’elles reprochent aux autres.", avant de se résorber et de finir par s'excuser au cours d’un voyage à Auschwitz en compagnie du président israélien Isaac Herzog, où il prétend “aspirer à être juif”. Un exemple supplémentaire montrant que le philosémitisme est une forme d’antisémitisme.
La victoire écrasante de Donald trump est aussi celle de la désinformation générale à laquelle a participé le multimilliardaire. C’est la première fois qu’un homme à la tête d’un réseau social participe ouvertement à une campagne électorale.
La chaîne de télé Fox News triomphe : nombreux sont ses animateurs vedettes propulsés à des postes de haut rang, tels que Tom Homan, policier placé à l’immigration aux côtés de Stephen Miller, chef adjoint du cabinet, qui auront pour objectif commun d’expulser au moins un million d’immigrés par an.
Le présentateur Pete Hegseth prend la tête du secrétaire d’Etat à la Défense. Propagandiste violemment islamophobe, ce dernier souhaite par exemple reconstruire le temple de Salomon sur l’Esplanade des mosquées à Jérusalem.
Enfin, la femme de Sean Duffy futur secrétaire des Transports, Rachel Campos-Duffy est également une intervenante vedette de la chaîne.
Tout aussi grave, la nomination de Robert Kennedy Jr, au ministère de la santé et des services sociaux. Figure de la mouvance antivax, il défend des thèses aussi farfelues que l’injection de relais d’antenne 5G dans les seringues vaccinales, ou encore les liens infondés entre autisme et vaccination. Il n’a jamais caché sa proximité avec la mouvance complotiste Qanon, dont la matrice idéologique est structurée par un antisémitisme virulent.
Maître dans l’art de la confusion, l’avocat déclare que la contamination du Covid-19, aurait été « ethniquement ciblée pour attaquer certaines races de manière disproportionnée à l’encontre des populations blanches et noires”, tandis que “les Juifs ashkénazes et les Chinois étaient les moins touchées”, renforçant l’idée d’un complot judéo-chinois.
A plusieurs reprises, il s’est livré à des comparaisons entre la vaccination et les victimes de la Shoah, allant jusqu’à affirmer que les Américains non vaccinés subissent le même sort qu’Anne Franck. Il ne s’agit pas de propos hasardeux mais d’une stratégie volontaire de dématérialisation l’Histoire.
Mis en cause dans des affaires en cours de détournements publics et de relations sexuelles avec une mineure, Matt Gaetz a finalement renoncé au poste d’Attorney general ou ministre de la justice, l'un des postes les plus prestigieux. Ce dernier avait invité le négationniste et négrophobe Charles C.Johnson à l’un de ses meetings. Depuis 2016, les Républicains s'accommodent ouvertement du soutien de groupes suprémacistes blancs tels que les Proud Boys ou d’autres groupes de néo-nazis armés.
Sans surprise pour le plan environnementale, le lobby des énergies rafle la mise affirmant son climatosceptisme, avec les nominations de Chris Wright, PDG d’une entreprise de fracturation hydraulique à l’énergie, et de Doug Burgum, gouverneur du Dakota du nord au Conseil national de l’Energie (CNE), dont la mission est de « superviser le chemin vers la domination énergétique des Etats-Unis ». La production record de pétrole qui n’a cessé de grimper et de battre tous les records sous le dernier mandat démocrate continuera son expansion dans le déni du dérèglement climatique et de la pollution qu’elle engendre.
Sur le plan international, la ligne reste inchangée concernant le soutien indéfectible à l’État Israël. Nouvelle ambassadrice des USA à l’ONU, Elise Stefanik accuse régulièrement l’ONU d’être antisémite et s’oppose au financement de l’UNRWA - se faisant donc une complice active de la délégitimation du droit au retour des Palestiniens - ou de toutes aides dédiées à la Palestine. Ancien pasteur fondamentaliste et gouverneur de Floride, Mike Huckabee devient ambassadeur d’Israël. Il considère la Cisjordanie, qu'il nomme “Judée Samarie”, comme partie intégrante d’Israël.
Le Kremlin semble également accroître son influence, poussé par sa légitimité au sein des sphères ultra-réactionnaires au niveau mondial. Trump confie le poste des renseignements à Tulsi Gabbard, ancienne Démocrate soutenue notamment par une agence de communication et de financement liée à Vladimir Poutine (qu’elle a toujours défendu) et proche du régime de Modi.
Enfin, pressenti comme le successeur de Donald Trump, J.D Vance obtient la vice-présidence. Opposé à l’IVG et au mariage gay, il est aussi un relai de la théorie grand remplacement. Précisons son appartenance au think-thank des Lumières Obscures, courant néo-réactionnaire antidémocratique, inspiré notamment du darwinisme social, les Chicago Boys et certaines formes de néofascisme sud-américains. A l’encontre des idées libertariennes et au populisme de l’alt-right, son courant de pensée affirme une ligne anti-égalitariste autoritaire et élitiste ainsi qu’un capitalisme décomplexé.
Loin d’être exhaustive, cette liste dresse un panorama très inquiétant de la recomposition du champ politique américain. Elle synthétise un ensemble de dynamiques réactionnaires actuelles, ralliant sionisme radical et antisémitisme, islamophobie et xénophobie décomplexées, transphobie et sexisme autour d’un projet ultraconservateur civilisationnel. Qu’il soit motivé par des raisons socio-économiques, raciales ou patriarcales, les déterminants de ce vote se croisent et doivent être appréhendés dans leur ensemble.
Une chose se confirme, Donald Trump et son clan semblent avoir le champ libre. L’opposition libérale se révèle incapable d’appréhender les enjeux liés à la paupérisation, au racisme et à l’impérialisme. Elle s'illustre une nouvelle fois par son incapacité de rompre avec les rapports sociaux de classe qui structurent la société étatsunienne : désintérêt pour la pauvreté massive, le racisme d'État, refus de remettre en cause le capitalisme, la militarisation du monde, l’impérialisme, la domination policière ou le système carcéral.
La nouvelle administration Trump constitue un pas important dans le tournant autoritaire à l’échelle internationale et le durcissement des contradictions inhérentes au système capitaliste et à l’hégémonie occidentale.
L’internationalisation de cette tendance, préfigurée par des personnages comme Steve Bannon et soutenue par une partie des industriels, risque de bouleverser profondément le monde et de le rendre encore plus irrespirable.
Jonathan Ruff-Zahn