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Billet de blog 14 mars 2025

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Purim : La défaite d’Haman, la victoire du Kahanisme

À Pourim, on célèbre l’histoire d’Esther et Mordechai, dont la bravoure a permis de sauver le peuple juif. Mais la fin de l’histoire contient une part d’ombre souvent oubliée, ignorée ou survolée - celle d’un meurtre de masse effectué au nom de la sécurité des Juifs. Par notre camarade Borenkraut.

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À Pourim, on célèbre l’histoire d’Esther et Mordechai, dont la bravoure a permis de sauver le peuple juif. Mais la fin de l’histoire contient une part d’ombre souvent oubliée, ignorée ou survolée – celle d’un meurtre de masse effectué au nom de la sécurité des Juifs.


Esther et Mordechai évoluent dans la cour du roi perse Assuérus, où ils doivent cacher leur identité. Séduit par la beauté d‘Esther, le roi l’épouse. Jaloux de de l’influence grandissante de Mordechai auprès du roi, son conseiller le plus proche, Haman, élabore un plan pour exterminer les Juifs du royaume, qui est fixé par décret royal. Tout en continuant à dissimuler avec habileté leur identité auprès du roi, Esther et Mordechai parviennent à mettre à mal le plan d’Haman. Ce dernier est exécuté et Mordechai prend sa place de conseiller royal.
Et ensuite ? Rien. Ensuite, il n’y a pas de changement institutionnel, le roi impose toujours sa loi. Mordechai savoure sa gloire nouvellement acquise, cherche le bien de ses proches et de son peuple, mais le pouvoir demeure hiérarchique et injuste. Le triomphe de Mordechai et d’Esther cède vite la place à une violence institutionnelle débridée : puisqu’il ne peut annuler le décret royal associé au plan d’Haman, Mordechai s’empresse d’en mettre en place un nouveau.

On peut ainsi lire au chapitre 8 du livre d’Esther : “Par cet édit, l’empereur autorisait les Juifs de chaque ville à se regrouper pour défendre leur vie, à massacrer, tuer et exterminer toute bande armée d’un peuple ou d’une province qui les attaquerait, y compris leurs enfants et leurs femmes, et à piller les biens de ces gens.” (Esther : 8;11)

Plus de 75 000 personnes sont massacrées. Mordechai encourage à célébrer ces massacres et à faire de ce jour un jour de joie, de festins et de réjouissances. La fête de Pourim est née.


Lors de Pourim, en 1994, Baruch Goldstein, colon états-unien résidant de la colonie Kiryat Arba voisine d’Hébron, se lève avant l’aube, enfile son uniforme de réserviste de l’armée israélienne et, muni d’armes à feu, se rend à la mosquée Ibrahimi d’Al-Khali où des centaines de musulmans sont réunis en plein mois de Ramadan pour la prière du matin. Il y entre et ouvre le feu. Vingt-neuf hommes et garçons sont tués, 125 sont blessés. Goldstein est abattu par les survivants.

Il y a 30 ans, une grande partie de la société israélienne avait condamné ce massacre. Seul un petit groupe, influencé comme lui par les idées de Meir Kahana, avait alors assumé de le glorifier publiquement. A leurs yeux, son acte héroïque relevait d’une sanctification du nom de Dieu, d’une violence juste et libératrice en accord avec leur interprétation du judaïsme et de l’histoire de Pourim.

De l’eau a depuis coulé sous les ponts et à Hébron, sa pierre tombale – où l’on peut lire “Il a donné sa vie pour le peuple d’Israël, sa Torah et sa terre” – est devenue un lieu de pèlerinage. Chaque année, à Pourim, les colons célèbrent la fête en grande pompe dans les rues d’Al-Khali, sous la protection de l’armée et de la police israéliennes, tandis que les restrictions imposées aux Palestiniens se durcissent davantage. En 2023, les célébrations ont eu lieu entre les ruines du village palestinien d’Huwara, où un pogrom avait eu lieu quelques jours plus tôt sous l’oeil passif de l’armée.
Mais cette conception eschatologique de la violence n’est aujourd’hui plus l’apanage des kahanistes marginalisés ou des colons d’Hébron. Depuis, un disciple de Kahana et admirateur de Goldstein est devenu ministre de l’Intérieur. Les chaînes d’info sont inondées d’un discours génocidaire. Dans la société israélienne dans son ensemble, les appels à la vengeance se banalisent, les lois racistes sont défendues sans détour, le transfert de la population palestinienne de Gaza ou de Cisjordanie est présentée comme relevant du bon sens. 

La société israélienne s’est-elle kahanisée, ou Meir Kahane a-t-il simplement su exprimer ouvertement un « déjà-là » sioniste, que les dirigeants libéraux cherchaient autrefois à dissimuler pour préserver leur respectabilité ?
Quelle différence entre Ben-Gvir et Kahane ? A cette question Ben-Gvir répondait il y a quelques années : “la grande différence, c’est qu’à moi on me tend le micro”.
Kahane est mort quatre ans avant le massacre perpétré par Goldstein. Bien qu’il ait été considéré comme un paria en Israël après son expulsion de la Knesset, ses funérailles furent parmi les plus importantes de l’histoire du pays, rassemblant près de 150 000 personnes. Ses idées ont toujours trouvé un écho au sein de la société israélienne et parmi les Juives et les Juifs du monde entier. 

En France, l’Agence juive pour Israël, membre du CRIF et longtemps soucieuse de son image, propose aujourd’hui des programmes d’aliya aux tonalités messianiques, en partenariat avec Nili Kupfer, suprémaciste de Hébron. Parallèlement, des figures du judaïsme français identifiées comme libérales ou progressistes, comme Haïm Korsia ou Delphine Horvilleur, justifient les massacres à Gaza et n’hésitent plus à faire appel à des affects de vengeance et de fierté en appelant les Juifs à « ne pas baisser la tête ». Cette année, parmi les organisations signataires du rassemblement du 6 octobre en solidarité avec l’État d’Israël et en mémoire des victimes du 7 octobre 2023, on trouve aux côtés de l’UEJF, Jew Buzz et Nous Vivrons les héritiers de Kahana et de la LDJ, les fascistes de Unité Juive.
Même s’ils se considèrent opposés à cette ligne politique, les partisans d’un sionisme libéral ont bel et bien intériorisé “le plan décisif” de Smotrich et n’ont aucune alternative à opposer à l’annexion de la Cisjordanie, au transfert de population de Gaza, au régime de suprématie juive entre la mer et le Jourdain. Les droits des Palestiniens restent un tabou.

L’acte de Goldstein était certes une action individuelle d’une forme extrême, mais elle était la manifestation de la violence coloniale sioniste, expression paroxystique d’un régime quotidien et en cohérence avec les discours portés par le mouvement sioniste depuis ses origines.
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Avant Pourim, les synagogues lisent la parachat Zakhor, récit de la défaite d’Amalek, l’un des premiers ennemis des Juifs de la lignée duquel est issu Haman. Cette lecture se conclut par l’ordre d’anéantir Amalek à chaque génération. Le récit de Pourim devient ainsi l’épisode ponctuel d’un cycle éternel de lutte et de vengeance. Haman, comme avatar d’Amalek, est l’incarnation d’un mal anhistorique, appelé à revenir éternellement, mal métaphysique plutôt que péril politique. L’histoire de Pourim qui est aujourd’hui transmise dans nos espaces communautaires peut être résumée ainsi : le méchant Haman a essayé de tuer des Juifs, mais ceux-ci ont trouvé le moyen de rester en vie. Quand on y pense, c’est finalement l’histoire de beaucoup de fêtes juives : ils ont essayé de nous tuer, mais nous avons réussi à survivre, célébrons.
Mais qu’en est-il de la part sombre de l’histoire d’Esther et de Mordechai ? Pourim n’est-il pas justement le récit de la vengeance aveugle des Juifs ? Une histoire où les opprimés, au contact du pouvoir, deviennent oppresseurs ? Ne devrions-nous pas, aujourd’hui plus que jamais, avoir tous et toutes à l’esprit cette dimension monstrueuse du récit, qui est célébrée par les Kahanistes, et tue par les sionistes libéraux ? Pourim ne nous est pas transmis comme un avertissement, mais comme une célébration de la vie. Ce devrait être l’inverse.
Depuis plus de 75 ans, les Palestiniens sont assassinés, brutalisés, affamés, humiliés au nom de la protection des Juives et des Juifs, mais aussi au nom du judaïsme lui-même.
Comment s’étonner alors de l’usage qui est fait de Pourim aujourd’hui ? Comment s’étonner que Pourim soit devenu cette fête macabre qui voit des enfants se déguiser en soldats israéliens ? Que le nom de Haman est aujourd’hui pour de nombreux Juifs synonyme du peuple palestinien ? Qu’ont entendu nos frères et nos sœurs lorsque dans les synagogues les traditionnels appels à détruire Amalek ont été chantés ? 
L’histoire de Pourim est l’histoire d’une victoire qui n’en est pas une : celle d’une sécurité acquise au prix d’un massacre. C’est l’histoire d’une une mise en garde : ce qui nous effraie chez les autres peut très bien émerger chez nous. Racontée ainsi, l’histoire nous aiderait à conclure : notre sécurité ne peut se faire au détriment de celle des non-Juifs. L’exceptionnalisme qui entoure la souffrance des Juifs et qui l’isole de son origine politique est un obstacle à la lutte antiraciste. Lorsque l’ordre est injuste, comme l’est celui du roi, l’existence des minorités, qu’elles soient juives ou non, sera toujours menacée

Nous fêtons Pourim contre la lecture nationaliste qui est faite de notre histoire par les organisations et institutions étatiques sionistes, et qui laisse entendre d’une manière ou d’une autre que les Juifs et Juives, éternelles victimes, ne sont pas capables du même mal que les non-Juifs. Nous fêtons Pourim en honorant la mémoire des victimes du fascisme et en en particulier des victimes de Goldstein. Nous fêtons Pourim contre les Assuérus modernes.
Pourim Sameah.
Borenkraut

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