
Agrandissement : Illustration 1

Le Conseil national de l'industrie (CNI) examinera en effet dès janvier la possibilité de réduire les cotisations sociales au-delà de 2,5 Smic, a fait savoir le ministre français de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire. « Nous ne sommes pas encore suffisamment compétitifs, notamment par rapport à nos voisins allemands », a-t-il justifié sur France Inter.
Si l'économie française « doit avoir des salariés toujours plus qualifiés », alors il faut « ouvrir la réflexion sur des allègements de charges sur les salariés les plus qualifiés » au-dessus de 2,5 Smic. Même si le Premier ministre a tenté de réfréner les ardeurs en précisant que cela se ferait seulement lorsque les comptes publics auront été redressés, il n'en reste pas moins qu'il s'agit bien là d'une nouvelle charge pour faire passer dans la vie une vieille revendication du Medef.
Cet élargissement pose plusieurs questions. D'abord, dans un moment où les besoins de la protection sociale progressent, on assèche, on siphonne ses ressources. Cette pratique consiste aussi à décrocher le financement de la protection sociale du lieu où se crée la richesse, c'est-à-dire l'entreprise, pour le reporter, in fine, sur l'impôt puisque ces baisses de cotisations ont vocation à être compensées par l'Etat.
Cette nouvelle exonération interviendrait sans que la preuve n'ait été établie de l'efficacité de ces dispositions en termes d'emploi. Ainsi, selon le premier rapport du Comité de suivi et d’évaluation des aides publiques aux entreprises et des engagements (Cosape), les travaux d’évaluation de la politique d’exonérations de cotisations sociales patronales sur les bas salaires aboutissent globalement à conclure que la première vague d’allégements (de 1993 à 1997) a permis de créer ou sauvegarder de l’ordre de 300 000 emplois et la deuxième vague (de 1998 à 2002) environ 350 000 emplois essentiellement en raison de la réduction du temps de travail à 35 heures. Les effets de la troisième vague (de 2003 à 2005), eux, seraient quasi nuls. Mais cela n'a jamais empêché les gouvernements successifs de se plier aux injonctions du Medef comme on l'a vu avec la campagne de l'organisation patronale qui promettait un million d'emplois créés.
L'autre question posée est celle de l'effet « trappe à bas salaire » de ces mesures. Les auteurs du rapport du Cosape regrettent « l’absence d’étude sur les effets de la politique d’allégements sur l’ensemble des 25 dernières années, sur son impact sur l’appareil productif, sa spécialisation et sa compétitivité ainsi que sur les salaires. »
Qui fera croire que le patronat ne sera pas encouragé à tasser les grilles de salaires, freiner les évolutions pour faire en sorte que les salariés qualifiés stationnent durablement sous les seuils d'exonération ? Si les effets salariaux ne sont curieusement pas régulièrement mesurés par les pouvoirs publics, le Cosape note cependant dans son rapport que « la proportion de salariés rémunérés au Smic a beaucoup progressé tout au long des trois vagues d’allégements, et, même si elle a reflué depuis, elle se situe aujourd’hui deux points plus haut qu’il y a vingt-cinq ans. Ce resserrement de la distribution salariale, que l’on observe en France sur une longue période, apparaît atypique au regard des autres pays développés.» Or ces politiques d'allègements de cotisations sont une particularité et une spécialité bien française.
Les entreprises ont bien compris tout l'intérêt qu'elles avaient à maintenir le plus possible les salaires en dessous de 1,6 fois le Smic. Lequel Smic n'est plus dans sa vocation première un salaire de départ pour un salarié sans qualification, mais une sorte d'horizon indépassable. Ces exonérations de même que les politiques salariales ont largement contribué au tassement des grilles et au non-paiement de la qualification. On s'apprête donc à franchir un nouveau cap en faisant oublier aux salariés et à l'opinion que ces cotisations patronales sont un élément de notre salaire socialisé et différé.
Par FD, journaliste engagé et militant Ugict-CGT