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Billet de blog 4 novembre 2025

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Gaza : que ressent un enfant qu’on enterre vivant ?**

Dimanche matin. Incursion de la lumière entre ces épais rideaux qui vous revêtent de tranquillité. Elle est somptueuse, cette lumière, faite de promesses.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La promesse d’une journée agréable et sereine, consacrée aux choses que vous aimez : être avec vos proches, manger un bon repas, faire une sieste durant la journée, et, plus tard, une randonnée dans la montagne, histoire de rester en forme et de vous dégourdir les membres. La vie est belle, parfois. Elle ne l’est pas tous les jours, mais quand elle vous accorde sa grâce, vous la savourez pleinement. 

Là-bas, à l’aide de bulldozers, on creuse un immense trou dans la terre, qui servira de tombeau. On ligote les pieds et les mains d’un enfant. Il a sept ans. Il se débat, il crie, il hurle, mais personne ne l’entend, sauf ses tortionnaires. Et personne ne l’aidera. L’enfant a mal ; son corps est rompu, brisé, et il voudrait que sa maman soit là, qu’elle lui dise que ça ira, que ce n’est qu’un mauvais rêve, que cela passera : « Fais dodo, fais dodo, mon enfant. » Il a envie d’être avec ses amis. Il aime les cerfs-volants ; il aime courir après les cerfs-volants. Qu’ils sont beaux, qu’ils sont grands, comme des oiseaux ! Courir, ne pas s’arrêter de courir. Puis il n’a envie de rien. Ou si, respirer, vivre. Les soldats le tirent brutalement, comme un animal dans un abattoir. Il ne veut pas mourir. Il ne veut pas souffrir. Il n’en peut plus. Que la mort survienne rapidement, instantanément. Son corps est au seuil du tombeau. Il sait ce qui l’attend.

Ce dimanche est l’ornement de la quiétude. Vous profitez de chaque instant. Demain, la vie reprendra son cours, avec ses incertitudes et ses tourments. Est-ce que vous pensez à l’enfant qu’on enterre vivant ? Est-ce que vous voulez y penser ? Êtes-vous capable ? Ne risque-t-il pas de troubler votre bonheur ? Arrêtez-vous un instant. Interrompez la trame de ce jour apaisé. Et pensez. 

L’enfant est désormais dans le trou. Le bulldozer déverse de la terre sur lui. Il est incapable de bouger. Ses yeux sont bandés. Que ressent-il à cet instant ? Est-il seulement possible d’imaginer sa souffrance ? Quelles sont les limites à notre empathie ? L’empathie est-elle toujours possible ? Meurt-il après combien de minutes — cinq minutes, dix minutes ? Pendant combien de minutes souffre-t-il ? Le mot « souffrance » convient-il pour décrire ce qu’il ressent ? Et pensez à ce que signifie sa mort, qu’elle est l’œuvre achevée d’une machinerie génocidaire, rendue possible grâce à la complicité et au soutien des puissants. Et pensez à la haine de ceux qui le tuent : que sont donc ces êtres, que sont-ils ? D'où vient cette haine ? 

Ou peut-être que vous n’y penserez pas. Parce que c’est une situation complexe, parce que c’est un conflit millénaire. Parce que vous vous gavez de la propagande médiatique qui fait de l’opprimé l’oppresseur et de l’oppresseur l’opprimé. Parce que vous n’en avez rien à faire, que cela ne vous concerne pas. Mais Gaza est une métaphore de nos lendemains. Nous deviendrons tous Palestiniens, objets de la violence de ceux qui veulent tout contrôler, tout dominer, tout exploiter. La mécanique fasciste est enclenchée, les tentacules de son idéologie et de ses pratiques se manifestent dans le monde ; Gaza en est un des visages. Saurons-nous l’empêcher de se muer en notre visage ? 

La lumière, lasse de toutes ces métamorphoses, s’évanouit dans la nuit. Vous vous réjouissez de cette magnifique journée. 

Là-bas, on déterre le corps de l’enfant. Sa main est tendue vers vous. Vers votre indifférence. Vers notre humanité.

Umar Timol

* https://www.youtube.com/shorts/3n4TJf6QKeU

**https://www.leaders-mena.com/american-surgeons-testimony-on-gaza-israeli-soldiers-bury-children-alive/

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