Cette libération est exaltante, elle est prométhéenne, voici venu le temps de l'homme nouveau, il n'est plus créé mais il se crée, il n'est plus objet mais sujet, il n'y aura d'autres limites que ses limites, il lui est proposé une promesse, celle du dépassement perpétuel de soi. En d'autres mots, l'homme est un dieu, son propre dieu. Cette divinisation de soi est nécessaire à la fabrique des sociétés contemporaines, elle est une pièce essentielle dans l'engrenage du capitalisme, du nationalisme ou encore de la consommation effrénée, elle sert d'infrastructure aux superstructures de domination. Ainsi les dieux de la modernité s'enracinent dans le dieu en soi.
Et cette libération de l'être a des conséquences tragiques. N'ayant d'autre miroir que soi-même, n'ayant d'autre histoire que celle qu'il se raconte, égaré dans un perpétuel face à face avec soi-même, l'être découvre sa solitude, sa précarité et son vide intérieur. On pourrait le comparer à celui qui s'acharne à construire une maison faite de sable, aussitôt construite elle s'effondre. Cela ne l'empêchera pas de continuer parce qu'il ne peut être autrement. Il n'y aura d'autre finalité.
Et ce territoire du vide est la matière qui nourrit les pathologies du monde. L'être éviscéré, incapable de sens, s'ancre dans les cultes de la modernité. Le moi exacerbé, le matérialisme, le narcissisme, la vénération de l'État, autant d'idoles, parmi tant d'autres, qui effacent la mémoire de l'absence. Et cette modernité nous mène, aujourd'hui, au seuil du précipice. Nous sommes confrontés à des menaces existentielles, guerre nucléaire, anéantissement de la nature, un système économique fondé sur l'exploitation des masses, l'émergence et la consolidation de fanatismes divers dans le monde.
L'être est pris dans la frénésie de la possession, accumuler, subjuguer afin de taire sa peur de la mort. Nous sommes convaincus, pour s'en sortir, qu'il suffit de remplacer nos politiques par d'autres, d'altérer légèrement le système ou de l'améliorer, de remplacer, en d'autres mots, des briques par d'autres briques alors qu'il nous faut un changement complet de paradigme, il faut déconstruire les structures du cœur de l'homme et du monde pour pouvoir les reconstruire.
Réformer la modernité ou lui trouver une alternative ? Vastes questions. Son caractère totalisant fait que ceux, notamment au sein de la gauche, qui réfléchissent à d'autres façons d'être, n'arrivent pas à échapper à son emprise. La modernité est le produit de l'histoire occidentale et elle s'est imposée par la force de la violence coloniale, procédant ainsi à un véritable génocide culturel. Comment penser hors de la modernité ou contre la modernité alors qu'on est contraint de penser selon les limites de son paradigme ? Autant guérir l'empoisonné avec le poison. On est, à vrai dire, dans une impasse et le seul espoir qui nous est donné est celui du moins pire.
Le cheminement vers un autre monde, passe, sans doute, par le véritable libération de l'être, non cet être qui se divinise, dont le cœur est la matière d'un système inique, mais un être réconcilié à ce qu'il est, qui est selon la grâce de Celui qui l'a créé et qui sait que son destin est dans l'au-delà. Un être qui se construit sur le mode de l'éphémère mais pleinement engagé à transmuer le réel. Il n'y aura de divinité que Dieu. S'abandonner à Lui c'est pouvoir renaître au monde afin de lui insuffler la vie.
Umar Timol.