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Billet de blog 10 octobre 2025

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Le poison subtil et le poison virulent, anatomie de nos libertés.

Les plus lucides savent qu’on assiste à l’agonie du monde - mais est-ce un monde ou l’enfer - que vous avez construit, vous avez bêché et vous avez violé les terres et les corps,

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vous avez pillé et exterminé des siècles durant, vous avez érigé les édifices de votre savoir épistémique pour en faire un savoir totalisant dont l'autre est effacé et absent, vous avez fait de nous vos esclaves et vos sirdars, vous avez fondé des nations et des frontières imaginaires pour mieux nous subjuguer, vous avez fait de vos langues les langues de la rationalité et de la civilisation, vous nous avez convertis à votre véritable religion, l’argent, ainsi scindant l’homme en deux classes, ceux qui possèdent et ceux qui sont possédés, hors de vos territoires vous êtes des barbares, au sein de vos territoires vous proclamez la parole sainte des droits et de la liberté, vous avez démantelé et reconstruit l’histoire pour mieux asseoir votre domination et votre histoire est devenue la nôtre, vos dogmes, qui sont le dénouement de votre généalogie tourmentée, sont devenus des dogmes universels, vous êtes une civilisation perpétuellement adolescente, basculant d’un extrême à l’autre, nous happant dans la danse folle de vos caprices, il est vrai que vous avez tenté de guérir de vos plaies, mais la créature que vous avez créée se nourrit de votre substance raciste et génocidaire, il est le dernier avatar de ce que vous êtes, vous avez tué l’homme et vous n’arrêtez pas de le tuer, mais personne n’a jamais autant vanté l’homme que vous.

Est-ce qu’il vous arrive de contempler cette créature ? Est-ce que vous arrivez à la regarder dans ses yeux ? Que voyez-vous ? Est-elle le miroir fidèle de ce que vous êtes ? Ou est-elle ce miroir infidèle qui vous force à la lucidité ?

Car nous voyons tout. Et nous ne pouvons cesser de voir et de comprendre. Les images du génocide infestent nos yeux. 

Et nous aurions aimé pouvoir nous aveugler afin d’oublier.

Mais est-il vrai que nous comprenons ? Votre plus grand triomphe a été de nous convaincre de notre infériorité, de faire de nous de pâles copies, certains veulent plus que tout que vous légitimiez leur existence, ils vous imitent, ils s'expriment comme vous, ils considèrent qu’il n’y a pas de plus grand honneur que d’être assis à la table des maîtres, ils s’imaginent en combattants de la lumière au lieu de l’obscurantisme, d’autres qui sont de gauche, adeptes du marxisme, du féminisme blanc ou des théories décoloniales, veulent déconstruire et subvertir votre pouvoir, fonder d’autres mondes selon les voies du partage et de l’égalité mais leur pensée est la vôtre, leur matérialisme est le vôtre, les penseurs qui les inspirent sont les vôtres, ces penseurs qui ont été incapables de penser l’autre, qui n’ont souvent eu que du mépris pour l’autre, ainsi vous voulez guérir le poison avec le poison, certains ingurgitent le poison virulent, d’autres le poison subtil.

Vous êtes parvenus à cadenasser la pensée et la langue, rendant impossible de puiser dans d’autres généalogies ou d’en imaginer d’autres, nous pensons contre vous ou avec vous mais jamais hors de vous.

Mais la libération est possible.

D’abord en dialoguant avec ce qui en vous, car dans le magma de l’oppression règnent de vastes et belles résistances, ouvre la voie à la véritable émancipation de l’humain mais fondamentalement en se ressourçant dans nos propres généalogies, dans des visions autres de l’existence et des êtres, d’autres concepts, d’autres paradigmes, d’autres épistémologies, d’autres révoltes. Notre force émanera de notre faculté à décentrer notre être, de la périphérie de votre généalogie, simple appendice ou perpétuel exclu, au centre de notre généalogie, s’y enraciner, en faire la matrice de la libération.

La libération est possible.

Est-ce qu’il vous arrive de regarder la créature, celle que vous avez créée ? Ne savez-vous donc pas qu'elle a détruit toutes nos illusions ? N’est-elle donc pas un monstre, qui assume et transgresse sa monstruosité, déchaînée, barbare, jamais repu de sang, un monstre qui vous dévore et s’entre-dévore. Ne comprenez-vous donc pas que bientôt elle s’en prendra à vous, elle vous entraînera dans ses enfers. Votre création. Elle vous éveille au pire en vous ou vous ramène à ce que vous êtes intrinsèquement, l'apocalypse de vos ombres.

Ce monstre est votre chair au monde. Ou plutôt un organe pourri dans un corps qu'on rêve sain. Il faudra l’ablater. Pour qu’on puisse être. Pour que vous puissiez être.

Un jour on se tiendra la main, à l’orée de la beauté de l’univers, un crépuscule flamboyant ensemencera les ténèbres, on se tiendra la main, et vous comprendrez enfin que nous sommes éphémères, que nous ne possédons que nos absences, que nos révoltes doivent être à la mesure de ce qu’on est et qu'il n'y aura de révolution politique sans révolution spirituelle, on se tiendra la main, et vous comprendrez enfin le sens de notre destin commun, on alliera toutes nos résistances, qu’elles soient séculaires, religieuses, spirituelles, on les fondra dans le métal mais pas ce métal qui entaille mais un métal plus doux que la nuit et qui fait ployer ces cœurs devenus pierres, on se tiendra la main parce qu’en se libérant, on vous libérera et on libérera le monde.

Bientôt, s’Il le veut. 

Les plus lucides en sont conscients.

Umar Timol

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