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Billet de blog 13 juin 2024

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Être pendant l'Holocauste à Gaza

Bientôt, il fera nuit. La résonance du monde s'atténue graduellement. Il est temps de dormir. D'oublier. Bienheureux sont ceux qui peuvent s'enliser dans ce sommeil qui accorde l'oubli.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Et qu'avons-nous fait, durant ces sept derniers mois, sinon nous exercer à oublier. Prétendre que nos petites vies prétentieuses et vaines ont un sens. Prétendre qu'on peut être, respirer, manger, boire, rêver, être l'objet des cadences de nos désirs et de nos absences.

Oublier et prétendre.

Mais on ne peut échapper à la violence. À l'Holocauste.

Parfois le temps cesse d'être. Il n'est plus. Il est irrémédiablement rompu. Comme un jouet détraqué. Qu'on ne peut réparer. Et ce temps-là s'insinue dans la matière opaque de l'oubli. La déchiquette et la réduit en cendres. Pour qu'on puisse voir. Pour que les carnages et les atrocités puissent consumer nos yeux.

Sauf ceux qui ont choisi l'aveuglement et dont les seules paroles sont le silence. Ils savent qui ils sont. Ceux qui ont cousu leurs yeux et qui se sont tus durant l'Holocauste.

Ceux qui disent qu'il faut relativiser.

Ceux qui disent que c'est compliqué.

Ceux qui disent qu'il ne faut pas faut pas céder à la propagande.

Ceux qui disent qu'il faut éviter les partis pris.

Ceux qui disent que c'est un drame parmi d'autres drames.

Alors que se produit un Holocauste.

Gaza est le temps rompu. Et la fin de l'humain. Un Holocauste en direct, sous les yeux de tous.

Imaginez que vous êtes cet enfant à Rafah, vous avez un an, deux ans, cinq ans, qu'importe, dans vos yeux scintille la pleine lumière de l'innocence et votre demeure est l'instant présent, l'enfance est la grâce du temps hors du temps et vous ne demandez qu'à vivre, qu'à grandir, qu'à vous épanouir et la lumière qui est en vous se répand dans les yeux des autres, vous vous réveillez la nuit et vous enfouissez vos larmes dans la chair de votre mère, vous faites des rêves audacieux, vous rêvez de courir et de vous élancer dans les cieux, jusqu'aux confins de l'espace, loin là-bas, l'enfance est le don de l'infini, puis les bombes explosent et votre corps se mue en enfer, calciné, brûlé, non par hasard, non parce que c'est une erreur, ils l'ont dit, Amalek, vous êtes des animaux, ils veulent vous tuer, jusqu'au dernier, ils l'ont dit, ils l'ont fait, votre corps est un enfer et les bombes vous décapitent.

Est-ce qu'il vous arrive de penser à cet enfant ?

Est-ce que vous ressentez sa douleur ?

Est-ce que vous comprenez la singularité de ce temps dissolu, ce temps de la rupture, qu’il n’y aura, maintenant, demain, à jamais, d’autre temps ?

Est-ce que vous avez le pressentiment que son sort est le nôtre ?

Savez-vous que l'enfant de Rafah est le nôtre car nous l'avons enfanté avec nos lâchetés, nos compromis, nos silences ?

Selon Theodor W. Adorno, 'Écrire un poème après Auschwitz est barbare, et ce fait affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes'.

La poésie est effectivement impossible.

Mais bien plus, être après Gaza est barbare.

Cette nuit est apaisée. Elle est le prélude à l'oubli. Mais l'oubli se dissipe, rompu par le temps. Vous dormirez évidemment. Mais vos rêves, il ne peut en être autrement, se métamorphoseront en cauchemars, hantés par un visage sans corps, le visage de l'Holocauste palestinien, celui d’un enfant, de votre enfant.

Umar Timol

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