Car qui veut se soucier du Mal, qui veut s'en souvenir d'autant plus qu'on peut l'occulter. Mais ce spectre est parmi nous, il se cache, il avance à pas feutrés dans les labyrinthes de nos absences. Les plus lucides savent qu'il a d'autres incarnations. Ne sommes-nous pas tous les enfants de son histoire ? N'est-il pas cette force motrice qui engendre nos identités, nos oppressions ? Sa mémoire n'est-elle pas ciselée dans nos os ?
Au cœur de la terreur coloniale, des génocides sans fin.
Des millions d'indigènes exterminés dans tous les coins et recoins du monde.
Est-ce qu'on entend encore leurs voix ou sont-elles enfouies dans les landes du temps ?
Est-ce que leur sang irrigue encore ces terres qui regorgent de richesses obscènes ?
Est-ce qu'on a la nostalgie de la vie de ces êtres alors qu'on les a annihilés de la mémoire ?
Mais nous sommes modernes, loin de tous ces archaïsmes, de la barbarie. Nous vivons dans un monde régi par les lois, par les droits humains. Nous sommes émancipés, apôtres de la diversité, de la rencontre avec l'autre. Nos révoltes sont convenues, programmées. Nous avons choisi l'aveuglement, pressés de nous gaver d'images insensées, le spectacle des corps et des objets qui nous consume. Nous avons choisi d'oblitérer le spectre mais il ne nous oublie pas et il ne meurt pas.
Et on ne peut le tuer.
Et bientôt, il surgit, et avec quelle violence, bas les masques désormais, que règnent ses ombres, qu'on exhume du cœur des hommes., mais ce ne sont pas des hommes, encore moins des diables, ils sont innommables, qu'on exhume toutes les exactions inimaginables, qu'ils violent des femmes enceintes, qu'ils tuent des enfants, qu'ils détruisent les hôpitaux, les écoles, les universités et qu'ils le proclament haut et fort, nous sommes génocidaires et nous en sommes fiers. Et qu'ils agissent en toute impunité avec le soutien des politiques, qui leur fournissent des armes, qui mentent, qui sont les complices d'un génocide. Le spectre est là, il n'a jamais été aussi présent au cours de l'histoire humaine, il n'a jamais été aussi impudique, lubrique, féroce. Il n'a jamais été aussi franc, ses intentions claires, limpides. Il ne se cache plus.
Le spectre est nu, dans toute la splendeur de sa monstruosité. On voit tout, ses veines, ses artères, son souffle, sa haine. Les moindres détails.
Si vous êtes un monstre, contemplez-le.
Si vous voulez comprendre l'histoire, observez-le.
Si vous croyez en l'humain, fuyez-le.
Déguerpissez. Allez-vous en. Mais souvenez que cette fuite a un prix. Le spectre vous hantera. Il bousillera votre crâne.
L'indifférence voulue est désormais impossible.
Le spectre nous apprend que l'histoire de la terreur n'est pas finie, c'est un cycle sans cesse recommencé. Ses simulacres sont différents mais sa grammaire est la même, et cette histoire se répétera à moins qu'on ne le brise, à moins qu'on ne l'incinère dans les cendres du temps, autrement il régnera dans nos cœurs, il régnera sur le monde, ce sera un règne sans partage. Et ce ne sont pas ceux qui se réfugient dans des discours convenus, 'neutralité', 'complexité', 'nuances', 'dérives' ceux qui ont choisi de se taire alors que se déploie le Mal qui y changeront quoi que ce soit.
Gaza est la métaphore de nos lendemains, nous les déchets, les moins que rien, nous, les débris humains dont se nourrit le spectre.
Il faudra ultimement choisir son camp, être dans le camp du spectre et de ses complices ou être dans le camp de ceux qui veulent fonder une autre histoire.
Umar Timol