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Billet de blog 17 mai 2023

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Ile Maurice - Politiques de la vacuité et vacuités de la politique.

On s'étonne qu'un jeune intellectuel, promis à un bel avenir politique, qui était récemment membre du MMM (1) avant de démissionner, décide d'intégrer le MSM (2). Les commentaires fusent sur les réseaux sociaux et ailleurs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C'est une honte, un scandale, un de plus qui a décidé de vendre son âme au diable. Tout décidément fout le camp. On se demande à qui on peut faire confiance. Cette colère est légitime mais elle puise dans une illusion, qu'il est nécessaire de déconstruire.

L'illusion est de croire qu'il y a des différences fondamentales entre les grands partis politiques mauriciens. Il y a certes des différences de sensibilité, de personnalité et d'intérêt, surtout. Mais ce sont des partis idéologiquement semblables. La classe politique dirigeante a plusieurs objectifs. Parmi on peut en citer trois. D'abord, elle sert à perpétuer l'ordre économique et politique global fondé par les États-Unis notamment à travers des institutions telles que la Banque Mondiale, le FMI, etc. Leur fonction consiste à assurer la transmission et la pérennisation d'une hiérarchie de pouvoir et de contrôle. Ensuite, elle travaille à renforcer les structures oligarchiques et capitalistes au sein de notre pays. Elle s'est d'ailleurs alliée avec l'oligarchie économique, une situation qui est profitable pour tous les acteurs impliqués. Finalement, cette classe dirigeante veut accaparer le pouvoir et s'enrichir à tout prix et par tous les moyens.

Elle est, en d’autres mots, un outil de la domination tout en exerçant la domination.

Cette lutte des grands partis est donc un véritable miroir aux alouettes. C'est un spectacle, grotesque et absurde, qui dissimule un fait essentiel : qu'ils sont idéologiquement alignés et œuvrent pour la réalisation d'un objectif commun.

Ce constat s'explique par le contexte particulier de notre époque. La gauche est à l'agonie et la droite triomphe. Nos partis politiques, qui sont situés au centre-droite, vacillent essentiellement entre les politiques de la droite modérée et celles de la droite dure.

D'où la vacuité des discours des membres de ces partis politiques. On nous sert du "BLD", "une île Maurice moderne", on évoque des "réformes" plus que vagues. Ils parlent pour ne rien dire, parce qu'ils n'ont rien à dire.

Nous faisons face aujourd'hui à une véritable crise systémique. Le monde est littéralement en train d'imploser. Il nous faut un souffle nouveau, l'invention d’un nouveau paradigme. Les partis politiques traditionnels sont aujourd'hui incapables, étant donné leur ADN, de proposer des alternatives. Ils creusent pour ainsi dire le trou dans lequel on enfouira nos cadavres.

Il ne faut donc pas s'étonner du "transfugisme". C'est du pareil au même. Par contre, il faut s'étonner de notre incapacité à interroger ce système. L'intelligentsia mauricienne estime qu'il y a une perte de valeurs, qu'il faut retrousser ses manches pour sauver notre pays. Le caractère candide de telles analyses est éminemment comique. Ainsi, il suffirait de "marcher la main dans la main" pour résoudre les problèmes. Elles passent à côté de l'essentiel, l'effondrement d'un système et le caractère destructeur du néolibéralisme.

Face à l'urgence de la destruction, nous cultivons des immobilismes et des réflexes anciens.

Ce jeune intellectuel ne sera pas le dernier transfuge. L'histoire le jugera sévèrement. Mais c'est ultimement une illusion. Il ne faut pas se leurrer. C'est le symptôme invisible des politiques de la vacuité et des vacuités de la politique.

On se doit de changer de paradigme. 

On nous parle de justice sociale, mais on ne remet pas en cause le néolibéralisme, qui creuse plus que jamais les inégalités entre les riches et les pauvres.

On nous dit qu’il faut mettre un frein aux abus de pouvoir, mais on n'interroge pas le pouvoir de l'État, qui n'est pas, comme on semble le croire, transhistorique, mais une invention récente. Jamais au sans doute au cours de l'histoire une structure politique n'a eu autant de pouvoir pour régenter la vie des individus.

On nous parle d'une société saine, mais on ne sonde pas ses structures qui exacerbent le pire dans l'homme, cette atomisation de l'être suscitée par le culte du profit.

On rêve d’une île Maurice ‘moderne’ mais on occulte les traumatismes de l’histoire, notamment la question de la répartition des terres, des inégalités foncières.

On se contente de colmater les fissures en priant que l'édifice ne s'écroulera pas.

Face au culte de l’événement, d’un perpétuel temps présent fait de scandales, qui nous excite et nous tétanise, n’oublions pas l’essentiel. Nous sommes aujourd’hui au coeur d’une guerre entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien. Il s’agit pour les possédants d’instaurer un système féodal et totalitaire avec la collaboration des élites. Ils savent fort bien que pour pouvoir manipuler les masses, il faut instrumentaliser leurs émotions primaires (peur de l’autre, angoisses identitaires etc ). C’est un système apparemment cadenassé qui chemine sur la voie du pire. Avec les progrès accomplis dans le domaine de la technologie de la surveillance et de l’intelligence artificielle, une dystopie totalitaire est désormais envisageable. Il s’agit de surveiller et de punir, comme l’a écrit Michel Foucault.

Pourtant, tout n’est pas perdu.

Dans les interstices de l’histoire, on découvre ce souffle qui nous rappelle que tout est possible.

Mais ce ne sont pas des marionnettes, dont l’expertise est la girouette, qui s’attelleront à cette tâche fondamentale, qui est de réinventer le monde.

Umar Timol

(1) Parti dans l’opposition.

(2) Parti au pouvoir.

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