On ne peut en parler sans susciter la déferlante des critiques, des peurs, des fantasmes. Mais peut-on dire effectivement que 'l'Islam est en crise' ou est-ce un non-sens, et si c'est le cas, de quelle crise parle-t'on exactement ?
(1 ) Il est essentiel de rappeler que l'Islam n'est pas un monolithe. Il y a plus d'un milliard huit cents millions de musulmans dans le monde repartis dans plus de 230 pays. On parle donc de réalités multiples, juxtaposés et complexes. Ainsi, au sein même d'un pays, d'une société, l'Islam est vécu différemment, les divergences sont nombreuses, les lectures et interprétations de la religion sont hétérogenes et contradictoires. Le défi de la complexité n'interdit pas évidemment un effort de comprehension mais ce n'est pas en ayant recours à des raccourcis de l'esprit, ancrés dans un regard colonial et orientaliste, qu'on parviendra à appréhender l'autre. Par certains aspects, on peut effectivement parler d'une 'crise', on ne peut nier un déclin civilisationnel de l'Islam et un certain nombre de problématiques par rapport, notamment, à la violence et à la modernité. On ne peut occulter le terrorisme, l'intégrisme, le fanatisme, ce ne sont pas de vains mots. Mais on ne peut enfermer l'Islam dans leurs cloisons, tout ramener constamment à ces problématiques. Et par d'autres aspects, l'islam est une religion dynamique, celle, par exemple, qui connaît la croissance la plus rapide. Loin des stéréotypes, loin des caricatures, l'islam se vit sereinement, les musulmans, il faut le rappeler, ne sont pas des terroristes en devenir mais bien des êtres humains à part entière, qui ont les mêmes soucis et le mêmes responsabilités que tout le monde. L'islam, et cela étonnera plus d'un de l'apprendre, est une religion qui prêche la modération. Et il est certainement un apport positif au monde. Il l'a été au cours de l'histoire et il l'est toujours.
(2) La crise véritable est sans doute ailleurs. Elle est celle d'un système économique, le néo-libéralisme qui broie les sociétés et les individus. Il est essentiel de lire, 'Macron président des ultra-riches', écrit par les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, qui démontre que Macron est la créature des oligarques. Et il n'est pas le seul. Les politiques, dans de nombreux pays, sont les agents privilégiés de l'hyper-capitalisme. Ils travaillent de concert avec les maîtres du monde. Et les chiffres en disent long sur la montée croissante des inégalités. Ainsi, selon Oxfam, 'les milliardaires du monde se partagent plus de richesses que 4,6 milliards de personnes, qui comptent pour 60 % de la population de la planète.' Il faut à ce sujet méditer les paroles de l'intellectuel américain Noam Chomsky, qui explique que la prochaine élection présidentielle américaine sera déterminante pour l'avenir de la planète. Trump élu, selon lui, et nous nous dirigerons tout droit vers une catastrophe environnementale ou même nucléaire. Parlons-en donc de la crise, la véritable crise qui guette le monde, celle d'un système fondé sur la cupidité et le profit, susceptible d'anéantir l'humanité. Celle d'un système où des politiciens alliés aux oligarques, sur fond de montée du racisme et du nationalisme, puisent dans les peurs des peuples, pour demeurer au pouvoir et pour mieux opprimer ceux qui votent pour eux.
(3) Le discours de Macron met en lumière une autre crise qui est la crise coloniale française, un pays qui est empêtré dans une histoire de domination et de conquête dont elle n'arrive pas à se libérer. La problématique de l'Islam, la 'crise' dont parle Macron, est fondée sur des peurs rationnelles, - le terrorisme n'est pas une fiction -, mais elle est surtout l'expression de la volonté coloniale de domination. Quelle est-elle ? Assouvir, dominer, régenter la vie des colonisés, qu'ils restent à la place qui leur est assignée. Au fond les puissants n'ont aucun problème avec l'Islam, on sait les amitiés de Trump, Macron, Johnson et consorts avec les potentats arabes de tous acabits, les défenseurs de cet Islam dit fondamentaliste aux antipodes de ce qu'est l'Islam authentique. On ne parle plus tout à coup de crises, de séparatisme puisqu'ils soutiennent notre politique coloniale et qu'ils achètent nos armes. En d'autres mots on veut bien de l'Islam mais qu'il soit asservi au dogme de la domination occidentale. 'L'Islam en crise' est de la poudre de perlimpinpin qu'on vend aux peuples pour detourner leur attention des vrais problèmes.
Il faut dire les choses telles qu'elles sont. Le discours de Macron est islamophobe. On peut combattre le terrorisme sans stigmatiser une religion et tout un pan de la population. La véritable crise, à vrai dire, est celle de tout un système. Des politiques à la solde des oligarques, qui sortent de leur trousse magique la recette qui fait mouche, les méchants musulmans. L'éternel tour de passe-passe qui consiste à diaboliser les faibles pour enrichir les riches. La crise n'est pas celle qu'on croit. Il s'agit d'une autre crise, la crise d'un système et de sa résolution ou de son irrésolution dépend l'avenir du monde.
Umar Timol.