Avoir le courage des mots. Des mots vrais.
Car l'histoire s'en souviendra.
Nous savons que le mal absolu existe. Non, ce ne sont pas les aléas de nos faiblesses et de nos défauts. Qu'on peut expliquer. À la limite, justifier.
Non, il s'agit du mal absolu.
Quand nous cessons d'être humains. Quand nous basculons dans le néant de la haine. Quand nous devenons 'autre'. Hors de soi. Hors de nos limites.
Nul ne peut prétendre être à l'abri du mal absolu. Ce sont des opacités enfouies dans les labyrinthes de notre chair.
Peut-être avons-nous été victimes de ce mal absolu. Ou peut-être pas.
Le mal absolu est, si nous avons de la chance, l'affaire des films, des livres, des documentaires. Qui nous choquent, nous bouleversent, mais que nous oublions vite, très vite.
Tant mieux, diront certains. Pour pouvoir être, il faut oublier. Ou s'aveugler. Choisir de ne pas voir.
Qui peut réellement être lucide ?
Qui peut exercer cette lucidité crue qui escamote toutes les impostures ?
Peut-être qu'il nous faut une foi qui ne se résigne à aucun compromis pour pouvoir affronter le réel.
Qu'importe. Parce qu'il s'agit du mal absolu. Sa puanteur. Sa violence. Sa barbarie.
Non, il ne s'agit pas de nouvelles qui se dissipent au bout d'un moment.
Non, il est là.
Il suffit de se rendre sur les réseaux sociaux.
Il est là.
Et il ne se cache pas. Il n'est pas tapi dans l'ombre. Il hurle son bonheur d'être.
Bombe nucléaire.*
Heureuse d'être une fasciste.*
Des animaux.
Des serpents.*
Des bêtes sauvages.*
Ils disent leur haine.
Leur déshumanisation de l'autre.
Pas lieu de poser des questions. Sont-ils encore humains ? Est-ce qu'ils se regardent la nuit venue dans le miroir ? Que voient-ils ?
Est-ce qu'il leur arrive de se regarder dans le miroir ?
Qu'est-ce que ça fait d'avoir le sang de milliers d'enfants sur les mains ?
Mais ce sont des questions inutiles.
Ils disent leur haine. Et ils exercent leur haine.
Ils tuent des enfants.
Des milliers d'enfants.
Ils les pulvérisent.
Ils les réduisent en cendres.
Ils les violentent.
Ils les brisent.
Ce père qui brandit les lambeaux de chair de ses enfants dans un sac.
Ils les pulvérisent.
Dans des hôpitaux.
Dans des écoles.
La boîte crânienne vide d'un enfant.
Ils les pulvérisent.
Parce qu'ils ont ce pouvoir.
Parce qu'ils peuvent le faire.
Parce que personne ne les arrêtera.
Surtout pas les dieux des droits de l'homme et de la liberté.
Surtout pas.
Les corps mutilés des enfants.
Ils les pulvérisent.
Des familles.
Des femmes enceintes.
Des bombes qui lacèrent des corps.
Des bombes. Qui amputent.
Qui sectionnent. Qui tranchent.
Les corps de milliers d'enfants.
Utilisons donc les mots les plus simples.
Pas lieu de tergiverser.
Ou plutôt le mot le plus simple.
Génocide.
Nous sommes les témoins en direct d'un génocide.
Du mal absolu.
Et ce mal, on ne pourra pas l'oublier.
Et on n'oubliera pas ceux qui l'ont soutenu.
Et on n'oubliera pas ceux qui se sont tus.
Il est gravé en nous. Certains deviendront fous.
D'autres se révolteront. D'autres essaieront d'oublier.
Nous serons, quant à nous, les témoins du mal absolu.
Ici, maintenant, à tout jamais.
Nous dirons sans cesse les mots vrais.
L'histoire s'en souviendra.
Umar Timol
* https://www.palestineadvocacyproject.org/quotes/