Les lois qui réglementent notre quotidien, tous nos faits et gestes qui sont surveillés, la répression de l’État, la domination économique, l’utilisation de divers instruments pour dompter l’être.
Certains choisissent d’occulter cette réalité. Ils se laissent berner par les illusions consenties. D’autres, qui ont une conscience politique, interrogent cette réalité et tentent de s’y opposer.
Mais est-il possible, étant donné qu’elle est quasi-omnisciente, de s’en libérer ? Est-ce que le caractère totalitaire du pouvoir dans le monde contemporain rend les virtualités de la libération impossibles ? Sommes-nous condamnés à subir ce lent écrabouillement de nos âmes, réduites à un esclavage qui ne dit pas son nom ?
Car l’autre visage de l’oppression, c’est son invisibilité. Les dominants ont cherché de tout temps à inscrire, par divers moyens, la domination dans les corps subjugués. Mais ce qui caractérise la domination contemporaine, c’est sa nature fantomatique. Il n’est plus nécessaire d’emprisonner l’autre car on parvient, de façon subtile, à le contrôler.
On sait s’insinuer dans le cœur des êtres, deviner leurs faiblesses et leurs appétits, disséquer les mécanismes psychiques pour les domestiquer. On n’ordonne pas à l’être de faire telle ou telle chose, on s’approprie son psyché, on le stimule, on le manipule pour parvenir à nos fins. Le véritable tour de passe-passe est de lui faire croire qu’il est libre ou qu’il est en quête de liberté. Mais cette liberté est une fiction, une construction, un moyen perverti de le dominer.
On peut détruire une prison physique, mais peut-on détruire une prison psychique ?
Qu’en est-il de notre liberté si nos vies sont régies par des algorithmes qui décident de nos choix, si notre désir, dans ce qu’il a de plus viscéral, de plus éloquent, ne nous appartient plus, s’il est au service d'un capital, si nos corps se muent en des mécaniques condamnées à obéir, si notre volonté est instrumentalisée ?
J’agis librement, en toute conscience, du moins, je le crois, j’en suis convaincu, mais cette liberté est une chaîne lourde et invisible qui enserre la totalité de mon imaginaire.
Jamais on n’a été aussi libre et jamais on n’a autant désiré la liberté, et jamais n’a-t-on été aussi dominé.
On est libres de manger mais on se gave de nourritures qui détruisent notre corps, on est libres de se divertir mais le divertissement est une vaste entreprise de décervelage, on est libres de consommer mais on consomme l'inutile et le superficiel, on est libres de réussir mais les hiérarchies économiques n'ont jamais été aussi tenaces, on est libres de fantasmer, de rêver mais nos rêves et fantasmes sont fabriqués dans des usines, on est libres de se réaliser mais selon les diktats d'un système immonde, on est libres, libres mais cette liberté est une illusion parée des attributs de la vérité.
Comment donc s'en sortir face à ces oppressions, visibles et masquées ? Est-il permis d'espérer que la liberté, authentique, qui puise dans le cœur des hommes et des femmes, une liberté qui fonde le sens, sera ? Ou est-ce qu'il est trop tard ? Est-ce que ce cheminement de l'oppression nous mènera inéluctablement vers les apocalypses ou est-elle une bifurcation avant des lendemains de lumière ?
La réponse appartient sans doute à ceux qui savent la syntaxe du dénuement. On ne peut se libérer de l'oppression sociale qu'en se libérant de l'oppression en soi. On ne peut parvenir au sens de ce qu'on est qu'en possédant le sens de la vie. Et cette sagesse doit s'inscrire dans une démarche politique, dans un projet révolutionnaire. Est-ce que ces êtres existent ou faut-il les fabriquer dans les limbes de nos violences, celles dont l’unique exigence est la liberté absolue ?
Umar Timol