Où sont-ils ? Que font-ils ? Pourquoi se taisent-ils ? Pourquoi ce silence plus opaque que les nuits les plus sombres ? Là-bas, on brûle les livres. Là-bas on séquestre la pensée. On exècre ceux-là. Ce sont des barbares qui veulent instaurer le règne du fanatisme médiéval. On les méprise, ces architectes d'un temps oublié. Mais quand ici, au pays des lumières, de la culture, des intellectuels, de cette littérature vénérée et célébrée, on dissout une maison d'édition, quand on assassine, en d'autres mots, cette si précieuse liberté, on se fait tout petit, on ne dit rien ou sinon des choses convenues. Est-ce qu'on oublie ce que cela signifie ? Est-ce qu'on sait que l'annihilation de la pensée ouvre les portes de l'enfer ? Est-ce qu'on n'apprend rien de l'histoire ? Ne sait-on pas qu'avant de détruire l'autre on détruit ses livres ? Ne sait-on pas que le bûcher des livres est le prélude au bûcher des corps ? L'histoire reste à inventer mais elle est déjà faite, les mêmes logiques, les mêmes instrumentalisations et les mêmes haines sont à l'œuvre, la mécanique est enclenchée, le décor a certes changé, l'autre a un nom différent mais l'aboutissement sera le même. Vous pensez qu'on dramatise mais ce qu'on disait il y a plus d'un siècle de cela. Puis ouvrez grands vos yeux. Regardez un livre. Peu importe le livre. On peut l'aimer ou ne pas l'aimer. Vous pouvez, si vous le souhaitez, le haïr. Mais on sait qu'il a valeur de sacrement. Du moins c'est ce qu'on affirme ici. On en a fait un absolu. Et on a raison. Le livre est le depositaire de la substance de l'etre. Et aujourd'hui on interdit au livre d'être. On le profane. Ouvrez grandes vos oreilles et ouvrez grands vos yeux. Le Mal qui vient, car c'est bien de cela qu'il s'agit, requiert la surdité et l'aveuglement des cœurs. Qui veut entendre entendra le bruit des cages qu'on construira pour y enfermer ceux qu'on stigmatise, qui veut voir verra la lumière qui fuit des yeux de ceux qu'on a chosifiés. Qui ne veut pas entendre fera sienne la propagande de la haine, qui ne veut pas voir fera sienne la radicalité d'un ordre qui détruit la pensée. Et souvenez-vous que la surdité et l'aveuglement sont les complices du Mal et que ce Mal, un jour, calcinera les oreilles et les yeux de ceux qui ne veulent ni entendre, ni voir. Le livre qu'on tue est le deuil de l'humain.
Umar Timol