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Billet de blog 24 août 2020

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Mon île naufragée ou la baraque miraculeuse.

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Maurice évoque des images exotiques, les belles plages, les cocotiers, le soleil, des hôtels magnifiques, un décor Baudelairien, un pays où tout n'est 'qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté'. Et si ces images sont les produits de l'imaginaire colonial, donc fictives, il n'en demeure pas moins que l'île est un bel exemple de réussite. Un pays qui était, pour citer un article de Naipaul publié en 1972, un 'overcrowded barracoon' ( une baraque surpeuplée ) a réussi sa métamorphose. Ainsi, pour donner un exemple, nous avons récemment accédé, selon la Banque mondiale, au statut de pays à haut revenu, véritable exploit quand on considère que c'est une île qui est au bout du monde, avec peu de ressources, qui réunit des peuples venant d'horizons diverses, condamnés à vivre ensemble dans un espace exigu. Dans un article publié, ( The Mauritius miracle, or how to make a big success of a small economy) en 2001, le prix Nobel Stiglitz ne tarit pas d'éloges sur Maurice, il propose même, comble de l'ironie, aux Etats-Unis d'apprendre de notre experience ( 'could learn from it's experience' ). La baraque mauricienne est désormais un 'miracle'. Ce mot peut sembler excessif mais il n'est pas illégitime. Et cerise sur le gâteau, si on peut dire, Maurice, grâce à une bonne gestion de la pandémie, est 'covid-free'.
Mais le mauricien a mal, le mauricien souffre. Il a la rage. Il est en colère. Et cela est palpable. Il suffit de l'interroger et il vous dira son ras le bol, sa frustration, son amertume. Et ce navire naufragé, qui déverse de l'huile dans des eaux cristallines, sur les côtes de l'île est une parfaite métaphore pour signifier ce mal être. Il met en lumière un véritable champ de ruines. Malgré toutes ses réussites, le pays est gangrené de l'intérieur, semblable à un malade à l'agonie. Il en est ainsi pour des raisons complexes mais la principale étant que depuis plus de 50 ans, quatre partis politiques ont mis le grappin sur le pouvoir, qu'ils se partagent au gré des alliances et des mésalliances. Ces politiques ont généré une culture de la corruption, de népotisme et de la médiocrité. Et ce avec l'accord tacite du peuple, dit admirable, qui finit toujours par les réélire. On peut considérer que ce système marche parce qu'il est fondé sur le marchandage, les oligarchies politiques et économiques qui ont noué des rapports incestueux offrent des miettes au peuple, qui s'en réjouit et qui s'en contente. Mais ce système, avec l'épidémie du Covid et ce désastre écologique, est au bord de l'implosion. On ne peut plus acheter le peuple. Et ce dernier n'en peut plus. Il en a marre de ces nantis qui dévalisent les coffres de l'etat, qui se croient tout permis, qui sont au-dessus des lois. Et la stratégie des politiques, qui consiste à s'enfermer dans leur tour d'ivoire, à refuser tout dialogue, à se cloîtrer dans l'arrogance, à imposer des mesures répressives nous mènent tout droit à une situation explosive. Et cela est d'autant plus inquiétant qu'ils sont vraisemblablement prêts à tout pour s'accrocher au pouvoir.
Nous sommes présentement sur un volcan social, à un moment charnière de notre histoire, le vent de la révolte souffle et gronde, susceptible de tout renverser sur son passage. De plus en plus de mauriciens ont des exigences de liberté et de révolte et c'est, on le sait, l'occasion ou jamais pour réclamer un véritable changement, une transformation de notre société. On se retrouve à la croisée des chemins, il nous faut donc choisir, entre l'enlisement dans un système qui ne peut perpétuer que le malheur et la construction d'une autre l'ile Maurice, solidaire et juste. L'histoire nous incite au pessimisme, nous sommes pris dans le tourment de ses cycles mais si l'utopie est irréalisable on peut tout au moins progresser dans la direction du moins pire ou du meilleur. Ces mains réunies, au-delà de toutes les différences, de couleurs, de races, de classes, qui fabriquent des bouées pour contenir la marée noire semblent indiquer que cela est possible.

Umar Timol.

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