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Billet de blog 25 juin 2024

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Corps désirant / Corps colonisé

Le corps humain récuse les limites, il est désirant, car enraciné dans la similitude du sang. Tout corps est ainsi potentiellement le sujet de désir de l'autre. Hors de toutes les injonctions, pulse l'appétence du pareil, et ce désir est subversif car il sape les fondements du désordre du monde.

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Il nous révèle la fiction des hiérarchies, l'imposture des imaginaires de la différence et de la supériorité. Le corps précède l'esprit, cette fabrique des illusions, et il est condamné à se mêler, à s'entremêler, à fusionner. On lui reconnaîtra des limites nécessaires, mais c'est sa permission fondamentale. Libérer ce corps désirant, c'est désarmer la violence. Ainsi, elle s'exerce à le dompter, à le maîtriser, à l'enfermer dans des cages : celles des mots, de la loi, des frontières, des prisons, de l'État, du nationalisme. Mais le lyrisme du désir viendra à bout de la violence du pouvoir.

Ce corps policé est le corps colonisé. Par colonisé, on entend tout corps, celui des exclus, des pauvres, des marginalisés, susceptible de subir la violence du colon. Ce dernier en fait un objet qu'il doit pouvoir contrôler à tout prix, mais plus encore qu'il doit différencier du sien. Le corps du colonisé est inférieur, paresseux, sous-humain, bestial. Il sent mauvais. Y est inscrite l'essence d'une altérité radicale. Et ce corps, s'il refuse l'impératif qui lui est assigné, s'il résiste, s'il affirme son humanité, est génocidé. Le but ultime du colon est la destruction du corps du colonisé. Le génocide n'est donc pas un hasard, il est au cœur de son agissement. Son fantasme est l'annihilation de ce corps pour que le sien puisse être. Le sien ne peut exister qu'en éradiquant l'autre, parce qu'il est le rappel des virtualités de son propre corps : le désir, la résiliation des finitudes. Et cette violence contre l'autre est violence contre soi. Elle est la fascisation de son propre corps. Plus il déshumanise l'autre, plus il se déshumanise. Le colon, ultimement, détruit son corps en détruisant le corps de l'autre.

Le corps colonisé, à l'ère de l'essor de l'hégémonie du capital et des technologies de l'asservissement, est la métaphore du corps de tous les êtres, ou presque. Nous sommes déjà ou nous pouvons devenir ce corps, corps-déchet, sans valeur, dont on peut disposer, qu'on peut humilier, torturer, amputer et génocider. La force du colon tient au fait qu'il parvient à instrumentaliser et subvertir le corps désirant, pour en faire une citadelle érigée contre l'autre, au nom de différences fabriquées.


À Gaza, ce lieu paroxystique du corps colonisé, au Congo, en Nouvelle-Calédonie et ailleurs aujourd'hui, se joue le destin de nos corps. Serons-nous tous des corps colonisés ou des corps désirants, emplis d'un désir si puissant, si révoltant qu'il rend l'humain, non possible, mais inexorable ? Est-ce que le lyrisme de son désir viendra à bout du règne de la violence coloniale ? 

Saurons-nous être à la hauteur du destin de nos corps ?

Umar Timol

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