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Billet de blog 28 décembre 2023

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Génocide - 83ème jour

Nous savons tous, à divers degrés, le caractère irréel de la vie. Elle ne cesse d'ailleurs de nous surprendre, avec ses incongruités, ses tours et détours, ses excès, ses folies.

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Il n'est pas vrai de dire que la réalité dépasse la fiction ; elle est au-delà de la fiction, au-delà de ce que l'imagination peut concevoir. Notre étonnement provient du fait que rien n'est 'normal'. Nous ressentons la normalité comme une habitude, mais notre présence, par exemple, sur un lopin de terre au milieu de nulle part est parfaitement étrange. Mais nous avons besoin de cohérence, d'ordre ; nous revêtons le monde d'un voile qui nous en protège. Mais parfois le voile se déchire. 

On assiste à l'intrusion de l'irréel dans nos vies. Et il n'y a aucun moyen de fuir, de se dire que ça ira, que nous pouvons passer à autre chose. Il est tenace, il nous bouleverse, il nous empêche d'être, de respirer, et il nous traumatise.

Qu'y a-t-il de plus irréel que le génocide palestinien ?

On a bien sûr lu des livres sur les génocides, regardé des documentaires, on n'ignore pas ce que ce phénomène signifie, mais il appartient à un autre temps, à d'autres lieux. À la limite, on ne veut pas y penser car il renvoie à la monstruosité en l'homme, et qui a envie de s'interroger sur la part monstrueuse de ses congénères ? N'est-il pas plus agréable de se dire qu'ils ont, malgré tout et envers tout, un bon fond ?

Le génocide donc. Le génocide en direct. 

Pas lieu de regarder la télévision. Il suffit de se rendre sur les réseaux sociaux, les images déferlent sans cesse : on tue délibérément des femmes, des hommes, des enfants, on détruit des hôpitaux, des écoles, on veut en finir avec un peuple, les exterminer. D'ailleurs, les dirigeants israéliens l'ont dit, ils ne s'en cachent pas, les Palestiniens sont des animaux, et c'est une guerre qui oppose les êtres de lumière aux êtres de l'ombre. Ils s'en vantent. 

C'est donc un génocide, et on est les témoins du spectacle du génocide sur nos écrans. Sans doute du jamais vu dans l'histoire de l'humanité.

L'intrusion de l'irréel dans nos vies. Comment est-ce possible ? 

Cet instinct meurtrier. Ce désir de tuer l'autre, de l'anéantir. Cette violence. Cette haine. 

Comment est-ce possible ? 

Non que nous soyons à l'abri de la violence. Il y a une part d'ombre en tout être. 

Mais tuer, en poussant des cris d'extase, des enfants ? 

On peut évidemment analyser, décortiquer, essayer de comprendre. Rien ne résiste à l'analyse. On étudiera le colonialisme, l'impérialisme, le capitalisme, et on trouvera des réponses. Et on écrira des articles, des textes. 

Mais aujourd'hui, je ne souhaite plus comprendre. Je ne veux plus comprendre. 

C'est au-delà de mes forces. Je veux m'asseoir. Et pleurer toutes les larmes de mon corps. Je ne veux plus réfléchir. Je ne veux plus regarder ces images. Je ne veux plus penser à ces corps laminés, à la souffrance des mères, des pères, des innocents. 

Je suis lâche. Mais j'ai le luxe de ma lâcheté. Les Palestiniens ne l'ont pas. 

Je ne veux pas de cet irréel. Mais il est là, bien là, comme un cancer dans mon imaginaire. 

Et je veux l'extirper de mon corps. 

Le silence de tous ceux qui savent, qui comprennent, qui ont une conscience et qui ont choisi, pour diverses raisons, de se taire. Vous n'êtes pas du bon côté de l'histoire. Vous êtes des salauds. 

Et je veux extirper de mon corps l'image des sanguinaires. 

Sont-ils encore humains ? Que sont donc ces créatures ? Qui les a créées ? Pourquoi existent-elles ? 

Et je veux extirper de mon corps la souffrance des martyrs palestiniens. 

Et je veux colmater ce voile déchiré avec mes joies inutiles, mon bonheur éphémère, je veux croire au sens, à l'ordre. 

Aujourd'hui je veux croire en l'homme. Tout bêtement. Je ne suis capable de rien d'autre. Je n'ai l'énergie de rien. 

J'ai choisi de m'affranchir de l'irréel. 

J'ai ce choix. Je découvre la pesanteur de ma liberté. 

Demain j'affronterai l'irréel. 

Je déchirerai le voile qui m'en sépare de toutes mes forces, je le calcinerai. Demain.

Umar Timol

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