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Billet de blog 31 décembre 2023

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Décembre 1973

J'ai eu 50 ans au début de ce mois. J'ai vécu 3 semaines de 1973, 3 semaines douloureuses. Mais en 1973, l'hôpital n'était pas en lambeaux.

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Fin 2023. Mediapart a fait au long de ce cinquantième anniversaire de 1973 une série d'articles. Le mien a peu de chances - positions politiques propalestiniennes oblige - de rencontrer quelque écho dans le Club - mais tant pis.

Je suis né en décembre 1973. Il neigeait alors que ce n'était pas l'hiver. Aujourd'hui, l'hiver risque d'être un souvenir. Il neigeait. On me l'a raconté. Mes parents étaient jeunes - 22 ans pour mon père ; 26 pour ma mère - ; ils s'étaient rencontrés par la politique. Militante à l'UCFml avec notamment Alain Badiou, ma mère avait unifié mon père, rejeton révolté de la bourgeoisie gaulliste qui vivotait entre plusieurs groupes marxistes-léninistes. Peu de temps après, ils m'ont eu.
Immédiatement arrivé au monde, stupeur. Pieds bots, problèmes musculaires. La tuile. Un pédiatre de Louis Mourier, à Colombes, fait le bon diagnostic. Les médecins pensent que je ne survivrai pas.
Bon, ils se sont plantés mais peu importe. Le docteur Lejeune - pas l'anti-avortement, hein ; un pédiatre de l'hôpital de Colombes - s'est occupé de moi. Je suis resté trois mois à l'hôpital et hormis une mauvaise passe entre 2016 et 2019, je m'en suis sorti, j'ai une vie presque normale, plus normale que presque. Je suis là. J'ai cinquante ans. Je dois ma vie à l'hôpital public mais je songe aux enfants qui naîtraient comme moi aujourd’hui et c'est un crève-cœur.
Depuis, il y a eu le PS, Delors, la gauche du capital et feu l'hôpital.
Mes parents étaient maos. Ma mère venait d'une famille catho de gauche ; mon père avait un père gaulliste et un grand-père qui avait adhéré au communisme plus qu'au PC après avoir combattu dans la Caverne du Dragon pendant la Grande guerre. Ils étaient maos, du mouvement d'extrême-gauche le plus conséquemment anti-raciste des années 1960-1970. Quand la plupart des orgas d'extrême-gauche s'écriaient : "Français, immigrés, même patron, même combat !", les maos - en tout cas l'UCF - disaient "Français, immigrés, égalité des droits !".
J'ai été enfant dans ces années-là.
Mes parents s'étaient installés au Luth, cité multinationale de Gennevilliers, pour être "comme un poisson dans l'eau parmi les masses" ainsi que le théorisait Mao. Mon père devint médecin à la Cité Balzac de Vitry-sur-Seine. Pourquoi Balzac à Vitry ? lui demandai-je un jour. Pour servir le peuple, me répondit-il. C'était aussi une exigence de Mao. Et après tout, c'est juste : quiconque ne sert pas le peuple dans sa dimension réelle, multiculturelle, beaufs et barbares comme dit Houria, ne mérite pas le nom de communiste.
J'ai vécu à Gennevilliers les 9 premières années de ma vie. J'ai quitté, trahissant bien malgré de moi mes copains d'école, j'ai quitté ma cité pour Paris à l'été 1982, peu avant que ne disparaisse Aragon et évidemment, j'y vois un lien. J'aime avant tout ce poète pour un point précis : il est, dans la poésie française, le poète du messianisme rouge jusque dans sa défaite à laquelle pourtant il refuse de se plier. À vous de dire ce que je vois, conclut-il son magnifique Épilogue des PoètesLe communisme reste la jeunesse du monde.

Les maos, lire Linhart, L'établi, portaient une idée radicalement démocratique du pays. Le prolétariat n'était pas, n'était plus exclusivement celui des films de Renoir. Je pense. Kamel aussi, c'est la classe ouvrière.
Cela aussi, je l'ai vécu. Avec joie, pourrais-je dire, même si je flirte par cette formule avec l'anti-racisme moral. Mais pourtant. Kamel pour moi s'appelait Ahmed (Ahmed le subtil, de Badiou, ne vient pas de nulle part), Mustapha ou Salem. Ouvriers marocains. Rifains. Ouvriers de Chausson. Salem était comme mon oncle. Je courais vers lui quand il venait chez nous où les militants de l'UCF-Nord se réunissaient souvent. Il me prenait sur ses épaules. Un jour, il m'a dit tu es grand maintenant. C'est fini, mes épaules.
Dans le lien des maos blancs aux masses, encore que les militantes juives - je pense à Cécile Winter mais il n'y avait pas qu'elle -filles de pontes FTP-MOI, n'étaient pas blanches, précisément, dans le lien des maos aux masses immigrées, il y avait une véritable égalité. Cette égalité n'était pas celle de la gauche, pas laïque, athée, en surplomb, etc. Poser la question de la religion des ouvriers, militants, marocains eût été grotesque, obscène, vulgaire. L'intégration, même si le mot n'existait pas vraiment, était une perspective coloniale, abjecte. On faisait Noêl en famille mais le Nouvel an avec tous les militants. Mes parents détestaient l'idée que la directrice de mon école primaire - "réviso", disaient-ils, i.e. au PCF - demandât aux enfants noirs et arabes quelle langue ils parlaient à la maison.
Il y eut des cours d'arabe à l'école. J'y fus inscrit.
Je tiens de toutes ces années qui ont coulé dans mes veines l'idée simple et tranquille que mon pays, la France, c'est ça. Kamel, c'est aussi la classe ouvrière. Salem, c'est aussi la France. Et l'extrême-droite, un tripot de perpétuels fantoches qui détestent ce pays.
Voilà ce que représente pour moi l'année 1973 dont je n'ai "vécu", sans sortir de l'hosto, que 3 semaines. Un jour, plus tard dans les années 1970, où nous faisions la queue devant un magasin, une femme se répandit en propos racistes. Elle fut dégagée. Autre temps, autres mœurs. 
Dernier point mais non des moindres. Il fait lui aussi contraste avec aujourd’hui. Malade, en danger, j'ai après mes 3 mois d'hospitalisation été confié à ma grand-mère maternelle. Elle était profondément catholique, profondément croyante. Anti-PCF mais réellement communiste, en vérité. Elle a prié pour moi. On peut dire qu'elle a été exaucée. Elle pensait que les sans-papiers avaient le visage du Christ. Et bien qu'ouvrière pauvre de l'Aisne ayant quitté l'école à 13 ans, elle avait été pour l'indépendance de l'Algérie puis, plus tard, pour qu'on donne des églises aux musulmans sans lieu de culte.
Que reste-t-il, en France, de ce catholicisme-là ?

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