A travers l’exemple de Benoît, nous avons détaillé le quotidien des cadres en entreprise, et leurs nombreuses recettes pour éviter le boulot. Dans leur petite bulle, nos amis cadres mènent une vie douillette, à l’abri des bouleversements de l’univers.
De temps en temps, ils jettent un œil en dehors de leur terrier, et contemplent le vaste monde. A l’occasion d’une discussion avec un cousin ou une amie, la réalité des conditions de travail des cadres du public leur est dévoilée. Et que racontent cette belle-sœur, médecin à l’hôpital, cette cousine, qui travaille pour une cour de justice, ou cet oncle, maître de conférences à l’université ? Une histoire bien différente de celle de Benoît.
Dans les hôpitaux, les cadences infernales et le travail le week-end. Dans les cours de justice, les fournitures de papier qui manquent pour imprimer les documents officiels. Dans les universités, la chute sur longue période des recrutement de maîtres de conférence, et la précarité des jeunes chercheurs.
Si Benoît s’arrête un instant, il constate avec étonnement l’aspect critique des choix qu’il a faits pendant ses études et sa carrière. S’il avait opté pour une carrière dans le public, son quotidien aurait été tout autre.
Je réponds à une possible objection : est-ce que je prétends que tous les cadres du privé ont un boulot pépère, tandis que tous ceux du public vivraient un cauchemar ? Non, ce serait idiot : le moins que l’on puisse dire, c’est que le « privé » comme le « public » sont de très vastes ensembles, dans lesquels on trouve à n’en pas douter une grande variété de situations. Bref, je vous le dis sans ambages : il existe aussi des cadres du public qui se la coulent douce, et des cadres du privé qui vivent des situations impossibles.
Ceci étant dit, sur la base de ma petite expérience, il n’y a pas de déterminisme absolu, mais il y a comme une régularité. Si vous n’êtes pas d’accord avec moi, je vous enjoins à parler quelques minutes avec un professeur, un médecin à l’hôpital, ou à une personne du ministère de la justice, et à vous faire une idée par vous-même.
Par ailleurs, au-delà des témoignages des uns et des autres, les politiques parlent d’elles-mêmes. Lorsque le CICE (Crédit Impôt Compétitivité Emploi, concrètement une baisse de l’imposition sur les entreprises) a été mis en place en 2013 par François Hollande, je travaillais dans une petite entreprise, dont le patron m’avait alors dit, assez stupéfait : « La droite n’aurait pas fait mieux ! ». En effet : augmenter la TVA de 0,4 point de pourcentage, pour flécher plusieurs dizaines de milliards d’euros par an vers le secteur privé et leurs actionnaires, c’est assez audacieux de la part d’un gouvernement de gauche. Et à partir de 2017, les actionnaires ont vu leur fiscalité à nouveau diminuer, via le prélèvement forfaitaire unique, ou « flat tax », et la modification de l’ISF, pour un montant de quelques milliards d’euros par an. Au total, il serait vraisemblable que les actionnaires aient été plus coulants avec leurs interlocuteurs directs, directions générales des entreprises et cadres. Possible même que leur grande question des dernières années ait été : « Mais que faire de tout ce pognon ? ».
A l’inverse, les services publics ont subi une forte pression, qu’illustrent les exemples suivants : la boulimie législative de la majorité LREM nécessite la mise en place fréquente de nouvelles dispositions, qui génère du travail pour les administrations ; et le gel du point d’indice de la rémunération des fonctionnaires, depuis une dizaine d’années maintenant, y comprime les coûts et provoque une perte de pouvoir d'achat.
Benoît est déprimé… mais pas assez fou pour amorcer une reconversion dans le public.