Voilà, en attente du vote définitif, le projet de loi sur le renseignement a été adopté à l'assemblé nationale. Par une petite trentaine de députés pour juger de l'opportunité de lancer la plus grosse atteinte légale contre notre vie privée. Ne nous y trompons pas, cette loi est in fine bien plus importante pour notre vie quotidienne que tout ce qui a été voté depuis une décennie !
Mais puisqu'elle est aussi importante, pourquoi est elle aussi peu médiatisée et pourquoi les citoyens dans leur ensemble et surtout les partis de gauche ne se sont pas emparés de cette question essentielle ? Les raisons sont multiples et tiennent essentiellement au sujet réputé très technique et à la volonté du pouvoir de ne pas avouer les enjeux réels en se cachant derrière la crainte du terrorisme. Mais aussi, et surtout, parce que la gauche n'a pas su (ou pas voulu) s'emparer de ce sujet et le rendre audible pour tout un chacun. Pourtant, il y avait matière à se retrouver dans la rue, vent debout, contre ce projet de loi scélérat.
Un texte aux contours très flous
Présenté comme le rempart absolu contre le terrorisme, ce projet est pourtant tourné en majorité vers d'autres fins, dont voilà la liste des motifs :
- L'indépendance nationale, l'intégrité du territoire et la défense nationale
- Les intérêts majeurs de la politique étrangère et la prévention de toute forme d'ingérence étrangère
- Les intérêts économiques industriels et scientifiques majeurs de la France
- La prévention du terrorisme
- La prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale, de la reconstitution ou d'actions tendant au maintien de groupements dissous.
- La prévention de la criminalité et de la délinquance organisée.
- La prévention de la prolifération des armes de destruction massive
Certains motifs sont tout à fait justifiés. Mais certains autres sont totalement abusifs. Le 5 en est l'exemple, tellement flou qu'il va permettre de mettre sur écoute des leaders syndicaux, des indépendantistes, des organisateurs de manifestations ... etc, et tout cela sans l'accord d'un juge et tout à fait légalement. Quand au 3, il vise directement les lanceurs d'alertes. On le voit, le terrorisme n'est qu'une préoccupation minoritaire de ce projet de loi, le reste étant du fourre tout capable de valider n'importe quelle interception de données.
Une surveillance de masse
Le gouvernement n'a cessé de répéter "Il n'y a pas de surveillance de masse dans cette loi". C'est un mensonge. Pour espérer repérer les terroristes dans le flux généralisé du web, il va falloir "lire" l'intégralité de ce flux. En gros, pour trouver l'aiguille, il faut fouiller la botte ! Pour arriver à ses fins le gouvernement prévoit d'installer des outils au sein même des infrastructures des FAIs ou des hébergeurs. C'est le signe d'une volonté de surveillance généralisée. Ces outils sont ce que l'on appelle des sondes DPI (Deep Packet Inspection) qui recherchent, à la volée, un ensemble de termes dans un flux de données et qui extraient tous les paquets contenant ces termes. Donc, si pour aller camper vous envoyez un mail à un ami avec les termes "bouteille de gaz", "sac à dos", "rendez-vous au centre ville" et "endroit isolé" vous serez normalement classé dans la liste des terroristes potentiels et cela ouvrira toutes les autorisations pour vous surveiller : écoutes, logiciels espions, voire micros et caméras chez vous. Et si cet ami est maghrébin, je vous laisse imaginer la suite !
Une surveillance comportementale par des algorithmes
C'est bien là que se situe un autre problème. Ce sont des algorithmes qui vont "décider" qui doit être placé sous surveillance et qui ne doit pas l'être. De nombreux spécialistes s'accordent sur le fait que ce système devrait générer des (dizaines de) milliers de faux positifs pour un individu potentiellement dangereux. On est donc, encore une fois, dans une logique de surveillance de masse, mais aussi d'une forme de renversement de la charge de la preuve. L'algorithme vous déclare potentiellement dangereux, et se sera à vous, sans le savoir, de devoir prouver le contraire dans votre comportement quotidien.
On le voit, ce projet de loi est dangereux pour nos libertés fondamentales. Et je ne parle même pas de l'utilisation qui pourrait en être faite politiquement par un pouvoir qui a une vision autoritaire de la démocratie, suivez mon regard. Et pendant ce temps, que fait la gauche radicale alors qu'elle est potentiellement très concernée par cette loi ? rien. Silence quasi absolu. Pas de tribunes, pas d'appel à manifester, pas de menace de conseil constitutionnel, pas de travail de simplification et d'explication ... juste un communiqué de presse par ci et un billet de blog par là. Cette situation, au delà d'être incompréhensible est très inquiétante.