"Nous perdrons cette guerre"
(poème pour Gaza)
Samer Abu Hawwash
Nous n’abattrons pas un arbre
Nous ne brûlerons pas un champ
Nous ne tuerons pas un homme, une femme, un jeune ou un vieillard
Nous ne troublerons pas le sommeil d’un fœtus nageant encore, inconscient
Dans le bonheur de sa première eau
Nous ne ferons pas sursauter un oiseau volant paisiblement entre deux
Nous ne dérangerons pas une jument dans sa course rêveuse vers le coucher du soleil
Nous ne distrairons pas un nuage traversant les villages pour leur rappeler leurs anciens
Nous perdrons cette guerre avec notre sang versé
Nous perdrons cette guerre avec nos membres amputés
Nous perdrons cette guerre avec nos yeux meurtris, nos cœurs meurtris, chagrin qui refuse de nous quitter
Chagrin que nous avons nourri si longtemps qu’il est devenu notre jumeau, notre ombre constante
Nous perdrons cette guerre comme nous avons perdu toutes celles qui l’ont précédée
Et comme nous perdrons toutes celles qui la suivront
Et lorsque nous nous souviendrons de tout ce qui s’est passé
Lorsque nous oublierons tout ce qui s’est passé
Lorsque nous ne nous souviendrons ni n’oublierons
Lorsque nous ne serons plus que poussière dans le vent
Un écho égaré dans le désert
Nous perdrons à nouveau la guerre
Mais avant de la perdre et après l’avoir perdue
Nous fixerons toujours les yeux de notre assassin
Nous regarderons son âme, nous habiterons ses cauchemars
Nous dormirons dans son lit, nous nous assiérons à sa table
Nous serons son café le matin, son vin le soir
Et quand il se tiendra derrière la fenêtre, l’oiseau ne le verra pas
Parce que celui-ci sera occupé à ramasser nos éclats dans l’air
Quand il sortira dans le jardin, l’arbre ne le verra pas
Parce que celui-ci sera occupé à garder nos âmes errantes
Et quand il se regardera dans le miroir
Il ne verra pas son visage, mais celui de nombreux d’entre nous dans le brouillard
Et il réalisera enfin que lui-même n’est rien de plus qu’un souvenir fantomatique
Dans la grande errance ; il ne comprendra jamais
Comment il nous a anéantis, puis anéantis
Puis anéantis à nouveau,
Sans pouvoir effacer de son miroir
Notre lumineuse image
Ni de nos visages
Cette lumière éclatante
Et ce sourire radieux.
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Samer Abu Hawwash est né en 1972 dans une famille palestinienne réfugiée à Sidon, au Liban
Poème traduit de l’arabe par Kadhim Jihad Hassan, dans K., Grandeur de Mahmoud Darwish, automne 2025, p. 243-245. [https://www.peren-revues.fr/revue-k/1596?file=1]