I. 1948 : un État colonial né dans le sang
La fondation de l’État d’Israël en 1948 repose sur l’expulsion de plus de 750 000 Palestiniens, la destruction de plus de 400 villages et des massacres comme ceux de Deir Yassine, Lydda ou Tantura. La Nakba n’est pas un événement clos mais l’ouverture – avec l’assentiment de l’Europe – d’un projet de colonialisme d’anéantissement (Patrick Wolfe, 2006), c’est-à-dire une structure visant à éliminer l’indigène. Depuis, l’État israélien combine dépossession foncière, militarisation permanente et ségrégation juridique. Human Rights Watch (A Threshold Crossed, 2021) et Amnesty International (Israel’s Apartheid Against Palestinians, 2022) qualifient Israël de régime d’apartheid, c’est-à-dire de domination institutionnalisée d’une population par une autre.
II. 1970–1980 : instrumentaliser la religion contre la revendication nationale
Pour affaiblir l’OLP et le Fatah, Israël choisit de reconnaître et de soutenir indirectement des réseaux islamistes à Gaza. Le général Yitzhak Segev, gouverneur militaire, l’a admis : « Le gouvernement militaire finance les mosquées »¹. La Mujama al-Islamiya d’Ahmed Yassine et l’Université islamique de Gaza bénéficient alors d’une reconnaissance officielle. Comme l’ont montré Andrew Higgins (Wall Street Journal, 2009) et Ishaan Tharoor (Washington Post, 2014), l’objectif était clair : contenir le nationalisme laïque. Le Hamas, qui émerge publiquement en 1987, s’appuie sur cette infrastructure. Israël n’a pas créé le Hamas, mais il en a favorisé l’essor dans le cadre d’une stratégie de division.
III. 2007–2019 : maintenir le Hamas pour neutraliser l’Autorité palestinienne
Après la prise de pouvoir du Hamas à Gaza en 2007, Israël impose un blocus total mais entretient aussi une séparation politique avec la Cisjordanie. À partir de 2018, Netanyahu autorise l’entrée régulière de fonds qataris – environ 15 millions de dollars par mois – pour payer les fonctionnaires du Hamas. Interrogé, il justifie ce choix par la nécessité d’éviter une « crise humanitaire » et de préserver le calme. Haaretz (11 octobre 2023) a montré que ce calcul visait surtout à affaiblir l’Autorité palestinienne et à empêcher toute réunification politique.
En mars 2019, lors d’une réunion interne du Likoud, Netanyahu déclare : « Quiconque veut empêcher un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et le transfert d’argent à Hamas »². Ces propos, rapportés par plusieurs journaux israéliens, ne sont pas enregistrés mais concordent avec une déclaration filmée en mai 2019 sur Kan 11 : « Quiconque veut empêcher un État palestinien doit soutenir la séparation entre Gaza et la Cisjordanie »³.
IV. 7 octobre 2023 : alertes ignorées et inaction
Le New York Times a révélé qu’Israël possédait depuis plus d’un an un plan baptisé « Jericho Wall », qui décrivait presque à l’identique l’attaque du 7 octobre. Ce document fut jugé « aspirationnel » (irréaliste), donc non plausible⁴. Michael McCaul, président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants américaine, a affirmé que l’Égypte avait averti Israël trois jours avant⁵. Par ailleurs, des observatrices militaires israéliennes avaient signalé des manœuvres inhabituelles du Hamas des mois auparavant, sans réponse (Haaretz, BBC).
Les enquêtes internes et les démissions de responsables, dont le chef du renseignement militaire Aharon Haliva, confirment des « défaillances systémiques » et une sous-estimation persistante. Replacée dans une stratégie visant à instrumentaliser le Hamas, cette inaction suspecte a servi de prétexte à une offensive d’anéantissement.
V. Après le 7 octobre : discours de haine et politique d’extermination
Les déclarations publiques d’officiels israéliens illustrent une volonté génocidaire. Yoav Gallant proclame le 9 octobre : « Siège complet : pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant… nous combattons des animaux humains »⁶. Isaac Herzog déclare le 12 octobre : « Une nation entière [à Gaza] est responsable »⁷. Amichai Eliyahu, ministre, affirme le 5 novembre : « L’option nucléaire fait partie des possibilités »⁸.
Les chiffres sont accablants : plus de 64 000 Palestiniens tués à Gaza depuis le 7 octobre 2023 (au 6 septembre 2025), selon le ministère de la Santé de Gaza, chiffres confirmés voire dépassés par l'ONU (OCHA), dont une majorité de femmes et d’enfants. En Cisjordanie, environ 990 morts depuis la même date (ONU/OCHA). Ces pertes s’ajoutent aux centaines de milliers de déplacés et de prisonniers depuis 1948.
La Cour internationale de Justice, le 26 janvier 2024, juge « plausible » le risque de génocide et ordonne à Israël de prévenir tout acte et toute incitation⁹. En juillet 2024, elle confirme que l’occupation israélienne en Cisjordanie est illégale et doit cesser « aussi rapidement que possible ». Ces jugements montrent qu’Israël n’est pas seulement un État colonial : il est engagé dans un processus d’anéantissement.
VI. L’instrumentalisation de l’antisémitisme
Israël a transformé l’accusation d’antisémitisme en tourniquet idéologique : toute critique de son colonialisme est assimilée à une haine des Juifs. Cette confusion volontaire entre judaïsme, sionisme et État d’Israël prétend neutraliser la dénonciation internationale.
La définition de l’IHRA10, adoptée par un certain nombre d'États, illustre cette dérive en assimilant la contestation du sionisme à de l’antisémitisme. Ce chantage identitaire enferme la diaspora juive dans l’État israélien et nie la pluralité des traditions juives, y compris celles hostiles au sionisme.
Cette instrumentalisation affaiblit la lutte contre l’antisémitisme réel, réduit le judaïsme mondial à un projet colonial et justifie l’extermination d’un autre peuple. Le colonialisme d’anéantissement israélien déforme ainsi la mémoire juive en instrument de domination.
Conclusion
Depuis 1948, Israël suit une logique continue : expulser, diviser, assiéger, anéantir. La Nakba ne s’est jamais interrompue, elle se poursuit aujourd’hui à Gaza. L’État colonial israélien, fondé sur la dépossession et l’extermination, relève d’un colonialisme d’anéantissement. Son objectif est clair : liquider la question palestinienne par la disparition de ceux qui la portent.
Notes
1. Ziad Abu-Amr, Islamic Fundamentalism in the West Bank and Gaza, Indiana UP, 1994, p. 54.
2. Haaretz, 12 octobre 2023 ; The Guardian, 8 octobre 2023 (propos attribués, non enregistrés).
3. Allocution filmée, Kan 11, mai 2019 (cité par Jerusalem Post et Times of Israel, 2019).
4. New York Times, 1er décembre 2023 (plan “Jericho Wall”).
5. Michael McCaul, C-SPAN, 11 octobre 2023 ; The Guardian, 11 octobre 2023.
6. Yoav Gallant, conférence de presse filmée, 9 octobre 2023 (Reuters, Times of Israel).
7. Isaac Herzog, 12 octobre 2023 (Associated Press, Haaretz).
8. Amichai Eliyahu, 5 novembre 2023 (Reuters, Times of Israel).
9. CIJ, Ordonnance de mesures conservatoires, 26 janvier 2024 ; CIJ, Avis consultatif, 19 juillet 2024.10.
10. https://holocaustremembrance.com/resources/working-definition-antisemitism. Cf. l'entretien avec Mark Mazower dans Médiapart du 07 septembre 2025 https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/070925/mark-mazower-la-premiere-action-si-l-veut-lutter-contre-l-antisemitisme-est-la-diplomatie
Référence de la citation de Rafael Lemkins: Axis Rule in Occupied Europe: Laws of Occupation, Analysis of Government, Proposals for Redress, Washington, D.C., Carnegie Endowment for International Peace, 1944, Chapitre IX « Genocide », p. 79.