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Billet de blog 8 octobre 2025

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Sadisme et masses fascistes intégrées : la nouvelle normalité civilisationnelle

Le massacre à Gaza ne suscite plus l’effroi mais l’adhésion : une part du monde occidental y trouve sa jouissance. Cette satisfaction est le produit d’une collusion entre néolibéralisme gestionnaire, droites identitaires et médias serviles. Le sadisme est devenu principe politique, la libido collective s’est fixée sur la mort.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

"Mince est la couche de vernis dont sont recouvertes les sociétés modernes ; fine, la pellicule qui distingue la civilisation de la barbarie"
Jackie Assayag, "Violence, terreur, génocide", Les temps modernes, 2004/1 n° 626. 

"Au coeur de la violence, il y a quelque chose qui est la jouissance"
Didier Fassin, dans L'échappée, Entretien avec Edwy Plenel, Médiapart 12/09/2025  

Il n’existe plus de distance entre la guerre et le plaisir, dans ce que l’on nomme encore l’Occident, la destruction est devenue une expérience de satisfaction partagée. L’article d’El País du 6 octobre 2025, « La sociedad israelí ante la masacre de Gaza: entre la indiferencia y el entusiasmo » [« La société israélienne face au massacre de Gaza : entre l’indifférence et l’enthousiasme »], en fournit un symptôme précis. Une partie de la société israélienne éprouve de la joie devant l’extermination de Gaza, par participation symbolique à la toute-puissance. Ce ne sont ni la peur ni la défense qui structurent un tel affect, c'est une libido sadique qui communie dans le désir d’assister à la mort et s'y reconnaît comme dans un miroir moral.

Enthousiasme meurtrier et arc politique

Cet enthousiasme ne se limite pas à Israël, il se déploie sur tout l’axe atlantique, soutenu par une collusion idéologique entre l’extrême centre néolibéral, la droite et l’extrême droite. Ce qui les relie, c’est une économie de la jouissance, celle de l’ordre, de la punition et de la hiérarchie. Le néolibéralisme fournit la langue administrative qui blanchit la violence ; la droite, les affects identitaires et vindicatifs ; l’extrême droite, la ferveur sacrificielle. Ensemble, ils produisent un continuum affectif autoritaire où la cruauté devient vertu civique et où l’esprit critique est récusé comme trahison.

Le centre, vidé de toute substance humaniste, ne défend plus ni le droit international ni la pensée, il gère la mort comme une variable d’équilibre diplomatique et calcule la tolérance morale du massacre comme on calcule un risque financier. En ce sens, le néolibéralisme est le gestionnaire rationnel du fascisme, il lui offre sa légitimité et sa froideur. La droite et l’extrême droite en fournissent le récit émotionnel.

Libido sadique et économie scopique

La libido n’est pas l’opposé de la pulsion de mort, elle en est l’énergie, elle exprime le désir sexuel d’anéantir, la jouissance d’étendre la mort de l’autre supposé, d’abord comme scène fantasmée, puis comme réalité visible. Dans la guerre contemporaine, cette libido s’incarne dans l’appareil technique des drones, caméras et flux d’images. La pulsion scopique – voir, viser, abattre, diffuser – devient la forme même du pouvoir. Le spectateur occidental contemple la mort comme preuve d’efficacité, dans la consommation d’images et l’excitation partagées.

Ainsi naît le spectateur-soldat, qui jouit de la maîtrise à distance. Il tue par procuration, il valide par clic et il s’excite d’une puissance sans contact. L’image militaire est devenue le lien social, le meurtre est intégré au divertissement. Le sadisme collectif ne se cache plus parce qu'il est algorithmé puis récompensé.

La fabrication des masses

Mais les masses fascistes intégrées ne sont pas le peuple, elles en sont la mutation organisée. Ce ne sont pas les citoyens eux-mêmes qui, spontanément, désirent la destruction, ce sont les appareils de production symbolique – médias, éditorialistes, essayistes de plateau, experts de cirque – qui fabriquent le désir meurtrier, en le présentant comme lucidité ou courage politique. Ces avant-gardes fascistes travaillent le langage et conditionnent la perception.

Derrière elles, on trouve les donneurs d’ordre financiers, les groupes de communication, les fonds d’investissement qui contrôlent l’information et orientent les affects. Ce sont eux qui fixent la norme du discours. Parler, aujourd’hui, c’est se situer dans un champ où la compassion est suspecte et où la violence devient discours d’autorité. Les masses ainsi formées sont une machinerie libidinale de consentement, orientée par la finance néofasciste vers la perpétuation de son propre pouvoir.

Forclusion du désir, paranoïa et nihilisme

La libido, captée par la haine, cesse de lier, elle arme, elle cible la victime, le désir se mue en paranoïa et il faut éliminer pour exister. Les sociétés occidentales vivent dans une forclusion du désir. Elles refusent l’altérité et substituent à l’amour l’identification à la force. Cette économie pulsionnelle produit une normalisation de la paranoïa où l’opposant devient traître. Un pacifiste est un complice et un critique un ennemi intérieur.

Ce régime de jouissance débouche sur un nihilisme terminal, celui dont parlent Naomi Klein et Astra Taylor dans « La montée du fascisme de la fin des temps », le monde ne vaut que par l’intensité de la cruauté qu’il tolère. L’ennemi est défini par sa simple existence et ceux qui refusent cette logique sont expulsés du champ symbolique, ils deviennent des absents politiques.

Fin d’un humanisme

L’arc politique formé par le centre néolibéral, la droite et l’extrême droite incarne la forclusion de l’humanisme. Il a renié le droit et il a remplacé la justice par la sécurité. L'entreprise d'extermination à Gaza fonctionne comme un miroir, elle révèle que l’Occident est devenu une civilisation qui jouit de sa propre puissance destructrice et ne se reconnaît plus qu’à travers la capacité d’éliminer l’autre.

Et ce n’est plus une dérive, c’est la normalité du présent. Le fascisme n’est plus un régime, il est une structure de jouissance dont Trump, Milei, Retailleau, Netanyahu et d’autres en sont les prophètes. Tant que cette libido sadique restera le moteur du politique, aucune reconstruction morale ne sera possible. Retrouver un humanisme ne signifiera pas moraliser les affects mais désarmer la scène scopique et réintroduire la pensée là où la propagande règne. Sans cela, ce qui se fait nommer Occident continuera de se contempler dans la ruine qu’il inflige et d’y trouver sa seule excitation encore possible.

Liens des articles mentionnés : 
https://elpais.com/internacional/2025-10-06/la-sociedad-israeli-ante-la-masacre-de-gaza-entre-la-indiferencia-y-el-entusiasmo.html
https://www.terrestres.org/2025/07/16/la-montee-du-fascisme-de-la-fin-des-temps/ 

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