V.  Martinez (avatar)

V. Martinez

Abonné·e de Mediapart

10 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 octobre 2025

V.  Martinez (avatar)

V. Martinez

Abonné·e de Mediapart

Le génocide récompensé : la paix comme dernier nom du crime

Les États-Unis, acteurs centraux du génocide à Gaza, prétendent désormais imposer la paix selon leurs propres conditions : la négation du droit international, l’affirmation de l’ordre colonial et la souveraineté d’impunité – en vue d’autres crimes en cours et à venir.

V.  Martinez (avatar)

V. Martinez

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis le 7 octobre 2023, Gaza s’est trouvée emportée dans un processus d’anéantissement d’une ampleur que rien ne semblait pouvoir interrompre, un mouvement de destruction qui s’est étendu sur tout un territoire et sur tout un peuple sans laisser de zone d’abri ni de répit. Les organisations internationales et les institutions universitaires ont établi que plus de soixante-six mille Palestiniens avaient été tués et près de cent soixante-dix mille blessés, tandis que les hôpitaux, les écoles, les infrastructures d’eau et d’électricité, les centres de santé et les voies de circulation ont été rendus inopérants dans un ordre presque méthodique. La densité de la population, le blocus et l’absence d’échappatoire ont transformé chaque frappe en effondrement collectif, chaque ruine en paysage de disparition.

La Cour internationale de Justice a jugé que les violations de la Convention sur le génocide étaient plausibles et a exigé que l’offensive cesse immédiatement. L’administration américaine a poursuivi, au même moment, les livraisons d’armes et la couverture diplomatique qui rendaient possible la continuation de la guerre. En janvier 2025, le gouvernement des États-Unis a levé la suspension pesant sur les bombes de 900 kilos (dites de "2000 livres"), puis la Defense Security Cooperation Agency a notifié plusieurs ventes d’armements successives dont les montants cumulés dépassaient seize milliards de dollars. Ces flux financiers et matériels ont permis à la destruction de se maintenir dans le temps avec la régularité d’un programme budgétaire. Les vetos américains au Conseil de sécurité, notamment en juin et en septembre 2025, ont écarté les propositions de cessez-le-feu et consolidé l’impunité politique des forces engagées.

L’aide humanitaire s’est réduite au strict minimum après la suspension du financement américain de l’UNRWA en janvier 2024, mesure prolongée jusqu’en mars 2025 sans qu’aucun rétablissement réel ne soit observé. Les services médicaux se sont effondrés, et seuls quatorze hôpitaux sur trente-six fonctionnent encore partiellement. Les organismes de santé des Nations unies et la revue The Lancet ont signalé une situation de dénutrition aiguë touchant plus de cinquante-quatre mille enfants de moins de cinq ans, dont près de treize mille dans un état critique. L’abolition en février 2025 de la directive NSM-20, qui liait la vente d’armes au respect du droit humanitaire, a supprimé le dernier obstacle juridique qui limitait la complicité d’État.

La phase actuelle ne relève plus du conflit mais de la gestion technico-morale du crime. Le pouvoir qui a rendu possible l’anéantissement d’un peuple administre désormais les décombres de sa disparition, transforme le désastre en opportunité diplomatique et inscrit la mort dans le champ des distinctions honorifiques. Sous la présidence de Donald Trump, la politique américaine s’est affirmée dans une brutalité délibérée qui ne relève plus du dérapage mais d’une méthode. Le président a déclaré : « Il n’y aura jamais d’État palestinien tant que je serai au pouvoir » (The Guardian, 4 février 2025) et « Les Palestiniens ne seront pas autorisés à revenir. Ils auront des logements bien meilleurs ailleurs » (New York Post, 10 février 2025). Il a également affirmé : « Les États-Unis vont prendre le contrôle de la bande de Gaza et en faire la Riviera du Moyen-Orient » (People, 5 février 2025) et « Gaza sera vidée de manière permanente, et ils ne reviendront pas » (Associated Press, 6 février 2025). Ces déclarations sont la traduction directe d’une politique qui organise la disparition d’un peuple tout en la présentant comme une opération de sécurité. L’appareil d’État a prolongé cette logique en transformant la guerre en mode de gestion et la famine en instrument d’ordre. La paix s’est réduite à une façade administrative de la domination et la destruction à un argument de prestige. Ce déplacement du langage, du droit et de la morale définit désormais ce que l’on peut nommer le génocide récompensé.

Références

OCHA / ONU, Situation Report Gaza Strip, 1er octobre 2025 – https://www.unocha.org
Brown University, Costs of War Project, « Gaza 2023–2025 », 3 octobre 2025
Cour internationale de Justice, Ordonnances Afrique du Sud c. Israël, 26 janvier et 24 mai 2024 – https://www.icj-cij.org
DSCA / U.S. Department of Defense, notifications de ventes d’armes, 7 février, 28 février, 19 septembre 2025
OMS, Health Cluster Gaza Situation Report, 2 octobre 2025
The Lancet / UNRWA–UNICEF–OMS, « Acute Malnutrition in Gaza », octobre 2025
Conseil de sécurité des Nations Unies, sessions des 4 juin et 18 septembre 2025
Arms Control Association, « Revocation of NSM-20 and Arms Transfers to Israel », 25 février 2025

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.