Ce 13 septembre 2025, 3 jours après l'assassinat dans l'Utah d'un blanc par un autre blanc, Londres a été le théâtre d’une mobilisation anti-immigrés inédite : la manifestation « Unite the Kingdom », convoquée par l'activiste raciste Tommy Robinson, a rassemblé environ 110 000 personnes, un record pour l’extrême droite britannique. Ce qui aurait pu rester un fait divers criminel a été transformé en instrument d’une démonstration collective de haine dirigée contre les immigrés et les musulmans.
La manifestation a défilé sur Whitehall et Westminster Bridge dans une atmosphère saturée de drapeaux anglais et britanniques, auxquels s’ajoutaient des drapeaux américains et israéliens. Les slogans observés par les journalistes ne laissaient aucune ambiguïté : des pancartes proclamaient « renvoyez-les chez eux » (send them home), d’autres affirmaient « stoppez les bateaux » (stop the boats) ou encore « ça suffit, sauvez nos enfants » (enough is enough, save our children). La foule scandait à plusieurs reprises « Angleterre » ou « à qui la rue ? à nous la rue » (Whose street? Our street). À proximité du cortège, des stands proposaient à la vente le livre Mohammed’s Koran: Why Muslims Kill for Islam, ouvrage islamophobe emblématique déjà diffusé dans les milieux extrémistes britanniques.
Un élément nouveau a donné à l’événement une dimension mondiale : la prise de parole d’Elon Musk. En visioconférence, le milliardaire a appelé à la « dissolution du Parlement » britannique et a lancé à la foule : « Que vous choisissiez la violence ou non, la violence vient à vous. Soit vous ripostez, soit vous mourez » (Whether you choose violence or not, violence is coming to you. You either fight back or you die). L’intervention d’une personnalité médiatique mondiale a conféré une aura supplémentaire à la mobilisation, comme si le nationalisme britannique pouvait désormais s’appuyer sur une légitimation transatlantique.
Le contraste avec la réalité du meurtre de Kirk est total. L’auteur présumé, un jeune homme blanc de 22 ans, a été arrêté aux États-Unis sur la base de preuves matérielles, et rien ne relie son geste à l’immigration ni à l’islam. Pourtant, à Londres, l’événement a été réécrit : ce n’est plus l’acte d’un individu isolé, mais l’occasion de désigner l’« ennemi intérieur » – immigrés, musulmans, progressistes – comme responsables d’une violence sans rapport avec eux. On retrouve là le mécanisme du bouc émissaire, analysé par Wilhelm Reich dans Psychologie de masse du fascisme : détourner une peur réelle vers une cible symbolique pour consolider l’unité d’un groupe.
La mise en scène londonienne illustre aussi la faillite des forces libérales, incapables de proposer une lecture sociale de la violence contemporaine et de contrer la rhétorique de la peur. Faute de réponses, elles laissent la rue et l’espace médiatique à des entrepreneurs de colère qui imposent leur récit. Le résultat est un effet cliquet : chaque drame est recyclé en carburant politique, chaque peur devient une opportunité de renforcer l’autoritarisme.
En définitive, Londres n’a pas honoré Charlie Kirk. La ville a servi de théâtre à une réécriture de l’événement : un meurtre blanc contre blanc aux États-Unis est devenu le prétexte d’une croisade islamophobe et nationaliste en Europe. Ce déplacement n’est pas accidentel mais stratégique. Il confirme que les mouvements de masse contemporains ne se contentent pas de commenter l’actualité : ils la tordent, l’instrumentalisent et la convertissent en rituel collectif où la haine s’exhibe comme horizon politique.
Références
Reuters, « Police and protesters scuffle as 110,000 join anti-migrant London protest », 13 septembre 2025.
The Guardian, « Far-right London rally sees record crowds and violent clashes with police », 13 septembre 2025.
The Guardian, « What did Elon Musk say at far-right UK rally and did his remarks break the law? », 15 septembre 2025.