Il n'aura fallu que quelques minutes pour décapiter un journal avec des balles. Charlie-Hebdo, qui n'avait pas son pareil pour fouiller dans les coulisses des bons sentiments, eh bien, ce même Charlie-Hebdo, anar, foutraque, gueulard, obscène, reçoit depuis quelques heures une averse d' hommages souvent improbables Ah, les hommages de certains journalistes ! Ils ruissellent sur les petits écrans, dégoulinent sur les ondes, innondent les réseaux sociaux ! Et gare aux encarté(e)s qui ne brandissent pas le panneau noir "Je suis Charlie !". De beaux salauds, des égoïstes, de vraies ordures, ceux-là ! Comment donc, une profession est touchée, la nôtre, et vous ne communiez pas de sympathie ? Mais qui êtes-vous donc ? Allons, debout citoyens journalistes, aux larmes ! Comment ? Quoi ? Vous n'êtes pas "Charlie" ? Mais qui êtes vous ?
Permettez !
Au risque de fâcher une profession, dont la susceptibilité est souvent vive, eh bien, je dis que la tartuferie de certains confrères est infinie. Et désolante. Ces chers confrères devraient baisser les yeux au spectacle de ces cortèges d'anonymes qui, par centaine de milliers, envahissent les rues pour exprimer dignement leur indignation. Ils savent aujourd'hui combien l'heure est grave. L'émotion mondiale qui a surgit après le carnage n'est pas feinte, elle. Ces gens qui battent le pavé sont tristes. Ils semblent inquiets. Rien de factice. Parfois, on distingue des larmes qui roulent silencieusement sur quelques joues. Parmi ces anonymes, bien entendu, on trouve, et c'est heureux, des journalistes vraiment bouleversés. Ceux-là se taisent.
Mais pour combien d'autres ?
Sacrés confrères, désormais émus, et qui occupent le devant de la scène médiatique ! Vous qui, pourtant, il y a quelques jours encore, ne citiez presque jamais les articles de "Charlie" dans vos revues de presse ! Les articles étaient trop grossiers ? Sacrés confrères, qui évoquent avec des trémolos dans la voix "la liberté de la presse", du "droit à l'information" et qui ne poussent pas l'audace ni la solidarité jusqu'à montrer à l'antenne les dessins qui fâchent ou à les publier dans vos colonnes lacrymales ! Peur des représailles ? L'occasion est pourtant belle de joindre les actes aux paroles. Sacrés confrères, sacrés patrons de chaînes et de journaux qui connaissiaient bien les difficultés financières de l'hebdo, et qui s'en foutaient royalement, et qui, aujourd'hui, ne semblent même pas capables d'un geste fort pour soutenir l'hebdo. Par exemple, un abonnement massif pour vos salariés. Tiens, vous n'y avez pas pensé ?
Sacrés confrères, rarement frères et parfois cons. Et souvent lâches.
Parions que si l'équipe rédactionnelle de Charlie-Hebdo se levait tout à coup, subitement ressuscitée, et si elle observait ce déluge de compliments faussement attristés de ces personnes-là, on peut penser qu'elle resterait stupéfaite. On peut imaginer que les journalistes partiraient d'un formidable éclat de rire. On voit Cabu pencher sur sa table de travail parmi le désordre et, au mur, les impacts de balles. Pour quel dessin ? Peu importe. Le bonhomme, monstre de gentillesse, n'a jamais été médiocre dans ses productions. Peut-être rendrait-il un hommage à son copain Reiser : "Charlie va mieux. Il est allé au cimetière à pied" ? On devine Wolinski, qui en a vu d'autres, prendre son feutre (le cigare lui était désormais interdit) et croquer une adorable petite bonne femme sous l'oeil ravi de Charb, étonnée, précis, inquiet... toujours bienveillant. Et les autres, tous les autres....
Hélas, comme le disait Topor, "la réalité n'est pas aimable".
Et dimanche, nous marcherons en pensant à eux. En silence.