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Billet de blog 23 juin 2014

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Merci Roland Topor

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

                                                                                         L'oeuvre de l'artiste est toujours là :  étincelante, palpitante,  jamais  mièvre.  Roland Topor aimait les carresses décapantes et  "hurlait à la mort en voyant un coucher de soleil". Ce virtuose de la cruauté  prenait un malin plaisir à bousculer la hierarchie des corps. Le sien a laché le 16 avril 1997. Chouette : un livre tente de se frayer un passage dans l'imagination luxuriante du sacré bonhomme. Salim Jay, qui a eu la chance de le connaitre,  signe aujourd'hui un ouvrage étonnant : "Merci Roland Topor" (édition Fayard). Que du bonheur !

C'est ainsi :  Roland Topor continue d'embarrasser le microcosme artistique français. "Trop ceci ou trop cela",  ses dessins continuent de déranger.  Ses mots désarçonnent.  Les cerbères du "bon goût"  le condamnaient au silence, déjà,  de son vivant. Et l'interressé, loin d'en être blessé,  en tirait même une certaine fierté. A la Légion d'honneur, Roland préférait la Légion d'horreur. Il y trouvait un terreau  plus fertile pour y faire pousser ses fleurs vénéneuses. Artiste polyvalent, Topor déconcertait.  Sa séduction, immense, tenait de l'imprévu. On l'attendait dans une galerie d'art ?  On le retrouvait sur les planches d'un théâtre. On le cherchait à l'opéra que déjà, ailleurs,  il mitonnait des chansons, construisait un scénario ou inventait une série  télévisée. Le papa de Téléchat aimait griffer. Mais c'était pour de faux. Le seul sang qu'il faisait jaillir était un sang d'encre. Cet acrobate de l'imaginaire, inquiet joyeux,  jonglait avec les paradoxes. Sa lucidité généreuse, souvent inquiétante, déconcertait ses interlocuteurs. Il s'en amusait. Dans un rire-bourrasque désormais légendaire, il jubilait du trouble qu'il avait lui-même provoqué. Puis il  passait à autre chose. Qui l'aime le suive. Et que les autres se démmerdent !  

En Belgique, en Italie ou en Allemagne, l'oeuvre de cet artiste unique est considérée à sa juste valeur. En France, seule une poignée d'hommes et de femmes continuent de faire vivre cette oeuvre inclassable. Il y a Nicolas Topor, son fils, qui ne ménage pas sa peine pour la réédition des oeuvres du génial papa, Hélène d'Almeida Topor, sa soeur, attentive et pugnace. Citons aussi,  comme une armée d'ombres bienveillantes, un solide noyau d'anonymes. Ils échangent des documents, discutent de tel ou tel ouvrage, remuent ciel et terre pour que soient jouée cette pièce, en monte une autre dans leur coin, bref, ils entretiennent  la flamme.

Enfin, quelques intellectuels. Chose rare, ceux-là ne rentrent pas en compétition avec le disparu. Ils mesurent le vide laissé depuis sa disparition.  Eternels débiteurs d'une émotion sans cesse renouvellée, ils lui rendent hommage, au gré des opportunités qui se présentent à eux.

Salim Jay est de ceux-là.  

Cet auteur franco-marocain, farouche libertaire, nous invite au voyage sans GPS ni carte routière. Il nous prend par la main sans jamais nous tordre le bras. Il nous montre avec délicatesse  bien des voies empruntées par l'artiste. Comme dans l'oeuvre de Roland, ( et ça n'est pas rien  que d'avoir choisi cette façon de faire pour évoquer sa mémoire ) , on trouve de tout et surtout beaucoup de choses surprenantes dans "Merci Roland Topor". Ainsi, cette anecdote bouleversante du petit garçon qui confie à Zlata, sa mère : " Quand j'étais dans ton ventre, j'ai vu sur ton coeur qu'il était écrit : C'est une très bonne maman..."

L'auteur, avec subtilité, analyse les dessins de Topor. Il écrit : "Les dessins de Topor ne font en vérité pas de cadeau à qui les regarde. Ce qu'ils apportent au spectateur, c'est l'obligation de regarder en soi-même. L'imagination quelque peu terrifiante que déploie souvent Topor, ce n'est jamais que le fruit des terreurs qui nous sont communes à tous : la peur de l'autre, l'angoisse de la dissolution, de la dislocation, du démembrement". 

Au fil des pages, Salim Jay nous fait partager son étonnement et, avec élégance, au gré de son érudition, il nous entraine  dans des endroits improbables  mais toujours accessibles.

Reste que Topor se mérite.

Il faut parfois faire un effort pour lui rendre visite,   ouvrir quelques portes, allonger le pas. Mais Salim  Jay nous livre ici des clés pour aborder cette oeuvre décidément iconoclaste. Enfin, comme il est impossible d'évoquer l'univers-Topor sans citer  la farandole de  ces "compagnons de doute ", nous voici donc tout à coup en compagnie de Jacques Sternberg, Pol Bury, Eddy Devolder, Roman Polanski, Yüksel Arslan, Patrick Roegiers, Henri Xhonneux, Reinhardt Wagner..

Du beau monde. Et de belles pages, aussi.

Merci, Salim.

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