Michel Audiard et Alain Robbe-Grillet
En septembre 66, Alain Robbe-Grillet et Michel Audiard se rencontrent sur un plateau de télévision.
Difficile d’imaginer deux personnalités plus dissemblables.
L’un est un dialoguiste populaire, autodidacte, bête noire de la Nouvelle Vague et l’autre, chef de fil du "nouveau roman” et cinéaste expérimental.
Le journaliste demande tout d'abord à Robbe-Grillet ce qu'il a voulu faire en tournant son dernier film, "Trans-Europ-Express "...
Alain : Voilà le genre de question auquel un auteur ne peut pas répondre ! Ce que j’ai voulu faire, c’est ce film, n’est ce pas ? Et c’est, en somme, en le faisant que j’ai découvert moi même ce qu’il était ou n’était pas. Si le film est une œuvre d’art, elle est comme toute œuvre d’art : une recherche où l’auteur est lui même à la recherche de ce qu’il veut faire.
Michel : Tout cela me paraît assez périlleux...
Alain : j’ai tourné dans un temps très bref 30 000 m de pellicule ! Et je récupère une certaine liberté au montage.
Michel : Ah ! Tout cela me paraît invraisemblable de partir comme ça ! Moi, je sais toujours exactement ce que je vais faire.
Alain : Je continue à être moi même non pas une réponse, mais une question !
Michel : Moi, je ne commence pas à écrire AVANT de savoir qui sont les acteurs, pas une ligne ! Je me suis rendu compte que le public demande toujours des héros. Chaque fois que j’ai fais une histoire avec un petit bonhomme, le public ne suit pas.
Alain : Mais, "Un homme une femme" à tout de même marché et il n’y a pas de héros !
Michel : Mais l’acteur est tout de même coureur automobile ! Ça joue un rôle. Moi ce que je reproche à ce « jeune cinéma », c’est de manquer de héros. 9 fois sur 10, c’est la femme qui mène le jeu, maintenant, dans les films actuels. C’est un peu un cinéma d’impuissant, un cinéma de cocu !
Alain : Et Belmondo dans "A bout de souffle" ?
Michel : Parce que c’est Belmondo ! Et que son personnage est un héros et lui on ne le fera jamais passer pour un tocard. Même si demain une femme met des gifles à Belmondo, le public pensera qu’il faut toujours les lui rendre ! Entre nous, Robe-Grillet, aimeriez vous faire du cinéma comique ?
Alain : Mais oui ! Je ne sais pas pourquoi on assimile le cinéma que j’ai envie de faire à un cinéma ennuyeux ! J’aime beaucoup rire et je trouve beaucoup de mes œuvres très drôles.
Michel : Ce n’est pas du cinéma hilarant tout de même !
Alain : Çà dépend ce qui vous fait rire ! Quand Kafka lisait à Max Bod « Le procès » il riait aux éclats en le lisant et moi même, en lisant le procès, je ris beaucoup.
Michel : Moi quand j’ai envie de rigoler, je lis plutôt Marcel Aymé que Kafka !