L’ensemble des données de ce billet provient d’une enquête sur l’accompagnement des femmes excisées que j’ai réalisé entre le mois de septembre 2023 et août 2024 dans le cadre d’un mémoire de recherche universitaire. L’ensemble des données est protégé et conforme aux dispositifs juridiques du Règlement général de protection des données (RGPD). Pour ce faire, l’ensemble des prénoms a été anonymisés, y compris l’unité de soin dans laquelle j’ai réalisé une observation participante d’un groupe de paroles de femmes excisées.
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Nous sommes au printemps 2024 dans un hôpital de la région parisienne. Dans une salle du 5e étage, une animatrice attend les participantes d’un groupe de paroles. Il est 14h, plusieurs femmes entrent dans la pièce, silencieusement. On peut apercevoir une légère anxiété sur certains visages. Nombreuses sont celles qui participent pour la première fois à ce type d’expériences. Ce groupe de paroles s’inscrit dans un parcours d’accompagnement pluridisciplinaire constitué de séances médicales, gynécologiques, psychologiques et sexologiques, ayant pour finalité de permettre aux femmes excisées d’aller vers un mieux-être. Une transposition du clitoris, opération consistant à reconstituer un clitoris externe, est également proposée pour celles qui le souhaitent. Après quelques minutes d’introduction de la part de l'animatrice et l’explication des règles qui régissent ce groupe, telle que la confidentialité, la discussion commence.
Aminata, âgée de 20 ans, excisée à 4 ans en Gambie et mariée de force à 19 ans, commence par prendre la parole. Elle explique les effets du parcours d’accompagnement sur sa vie : « Le parcours, c’est pour changer ma vie. Ça change dans ma tête. On se sent plus différente des autres. ». Cette différence dont parle Aminata, c’est évidemment l’excision. Grâce à l’accompagnement pluridisciplinaire, elle intègre progressivement cet événement traumatique dans son parcours de vie. Alors qu’autrefois, l’absence de clitoris externe et des petites lèvres était ressentie comme une honte engendrant des sentiments d'incomplétude, son regard sur soi évolue plus positivement au gré des consultations avec les professionnelles : « On répare la tête », déclare-t-elle avec un léger sourire.
Assa, excisée à l’âge de 8 ans en Côte d’Ivoire, prend la parole. Elle explique son enlèvement par deux hommes pour faire l’objet d’une excision et les conséquences physiques immédiates : « Pour moi, ce sont deux hommes qui m’ont attrapée. Ils m’ont emmenée vers une exciseuse. J’avais 8 ans. Ça a été mal fait, j’ai eu plein d’infections après. ». Malia poursuit la conversation. Elle a fait l’objet d’une excision ayant engendré une pseudo-infibulation. Cette dernière se produit lorsque les petites ou grandes lèvres coupées, par coagulation, se collent l’une sur l’autre et se cicatrisent ensemble. Il reste donc une bride, c’est-à-dire une vulve « fermée », où peut passer seulement l’urine et le sang menstruel. Les propos de Malia orientent le groupe de paroles vers une autre problématique, souvent liée avec l’excision, qu’est le mariage forcé : « Ma première fois a été difficile. J’ai eu des douleurs avec mon excision. Il y a eu la cérémonie du drap blanc. J’ai subi un mariage forcé. Mon mari a vérifié si j’étais vierge, il a mis en coup de lame pour m’ouvrir car j'avais eu une infibulation. ». Inaya, âgée de 40 ans, excisée à 12 ans au Burkina Faso et mariée de force à 14 ans, prend pour la première fois la parole. Elle exprime les violences dont elle a fait l’objet après son mariage forcé : « J’ai été maltraitée par mon mari. C’était un mariage forcé. J’étais la quatrième femme, sa dernière. J’ai été torturée, mais tu dois te débrouiller toute seule dans ton mariage. J’ai beaucoup de pensées, des flash-back dus à mes traumatismes.
Rokhaya, âgée d’une quarantaine d’années, prend la parole. Elle raconte les conséquences psychologiques de son excision, mais aussi les effets positifs de la transposition du clitoris qui a mis fin à ses douleurs urinaires : « Après l’excision, j'ai perdu la joie de vivre. J’ai eu beaucoup de douleurs, notamment pour uriner le soir, de l’incontinence, je faisais pipi au lit, j’avais des problèmes de sommeil. Les mères disent que ce n’est pas lié à l’excision, que c’est juste des maladies. Les douleurs d’urine se sont arrêtées après la chirurgie. » Asma, 25 ans, excisée à 6 ans et fuyant un mariage forcé, exprime des problèmes physiques similaires : « Pendant ma grossesse, j’ai eu plein d’infections. Au pays, il n’y a pas de lien entre l’excision et les infections. Tous les problèmes, on dit que c’est normal. C’est les traditions. ». Awa, quant à elle, exprime ses grandes angoisses envers la sexualité : « Je n’ai eu aucun orgasme, aucun. Ça fait longtemps que je n’ai plus de relations sexuelles. J’ai peur. »
Awa, âgée de 35 ans, excisée en Côte d’Ivoire et fuyant un mariage forcé, explique que son excision était collective. Ce type de pratique est de moins en moins courant aujourd’hui. Autrefois, on rassemblait un ensemble de filles en âge d’être excisées, puis, après l’opération, une fête était organisée pour les nouvelles « initiées » : « Mon excision, dit Awa, était collective. C’était une vieille dame qui était là [l’expression “vieille dame” veut dire exciseuse]. On devait boire une potion avant d’être excisées. Avant son tour, on entendait les cris des autres filles. Et après notre excision, on se préoccupait jamais de notre santé. » Asma complète le propos d’Awa. Elle a aussi eu une cérémonie collective. Après l’excision, le groupe de filles a été emmené loin du village pour y recevoir un enseignement sur la manière d’être une femme. A leur retour, une cérémonie a été organisée pour honorer les « nouvelles femmes » du village. Elle explique le rite de passages auquel elle est passée : « Mon excision, c’était une cérémonie. Quand on est entré 40 jours après l’excision, une fête était organisée. On devait sauter au-dessus d’un feu. »
Assa reprend la parole. Elle explique que sa mère était contre l’excision, mais elle a dû s'y contraindre en raison de la pression de la communauté. A travers ses paroles, Assa révèle une donnée sociologique majeure : l’excision permet d’éviter l’exclusion sociale : « Ma mère était contre l’excision. J’ai eu beaucoup de haine après mon excision. J’ai beaucoup pleuré. Chez nous, une femme qui n’est pas excisée est sale, elle porte en elle une malédiction. ». Rokhaya appuie le propos d’Assa : « Chez nous, c’est la loi du groupe. L’excision est une décision de la famille élargie, donc on n’a pas de soutien quand on est contre. Chez nous, les femmes et les enfants n’ont aucun droit. On se moque des femmes qui ne sont pas excisées. Elles sont dégoûtantes, sales, comme un garçon. Elles portent la malédiction. Les femmes ne disent rien si elles ne sont pas excisées. ». Asma prend la parole pour exprimer sa colère envers les médecins ivoiriens qui ne disent rien de l’excision : « Nos médecins savent ce que fait l’excision, toutes les choses négatives, mais ils disent que c’est la tradition. Je suis révoltée contre les médecins. Mais en Afrique, on n'a pas le droit de s’exprimer. J’ai travaillé dans un hôpital en Côte d’Ivoire, on n'a jamais parlé d’excision. Mon oncle, qui est chirurgien, n’en parle jamais. ». Awa confirme : « Moi, ça me révolte que nos médecins en Afrique ne disent rien, je suis en colère. »
Au bout d’une heure de discussion collective, les femmes finissent cette animation en parlant du statut des femmes dans leur pays d’origine. Awa déclare : « Chez nous, on ne peut pas s’exprimer, beaucoup ne vont pas à l’école, on subit des mariages forcés et de la violence. Moi, j’étais un peu une enfant rebelle alors que je suis une femme. Mon émancipation, c’est l'école et ensuite avoir un travail. Je me suis cachée quand j'étudiais en master. J’ai subi un viol comme représailles de ma famille avec un mariage forcé, alors je me suis réfugiée chez un ami et je suis partie rejoindre la France. J’ai une fille décédée, je me suis battue pour elle, c’est pour elle que je continuerai à me battre. Ma religion est aussi un soutien à tout ça. » Le propos d’Awa se finit sur une crise de pleurs. Après que d’autres femmes l’ont réconfortée, Inaya estime que : « Chez nous, on fabrique nos vies, on n’a pas d'objectifs », mais Rokhaya finit sur une note d’espoir : « L’excision, ça va finir, ça va changer. On est fatiguées de ça. »
Alors que le groupe de paroles est terminé, Awa, qui a été réconfortée par les autres femmes, prend la parole pour remercier l'ensemble des professionnelles de l’unité de soin : « Le bien que vous nous apportez. Vous avez d’autres mentalités, vous nous aidez, vous m‘aidez dans la vision que j’ai de la vie. Vous êtes un cadeau du ciel. Un jour, je rêve de créer une ONG pour les orphelins car je me sens un peu orpheline, même si je ne le suis pas vraiment. »