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Billet de blog 3 mai 2023

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Entre deux mers, 5

Où l'on découvre les hauts et les bas de La Réole, topographiques et psychologiques, et aussi que tout est relatif.

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"On est d'en haut ou bien d'en bas

Quand on voyage on apprend ça"

Gilles Vigneault, Les Voyageurs

Toute ma vie j'ai toujours rêvé d'être une hôtesse de l'air,

Toute ma vie  j'ai rêvé de voir le bas d'en haut

Toute ma vie, j'ai rêvé de n'plus jamais passer

par les bas et les hauts de notre petite terre.

Jacques Dutronc, L'Hôtesse de l'air

Un ami installé à La Réole, et depuis hélas parti, m'avait dit: "tu verras, dans cette ville, il y a le haut et le bas". Me laissant entrevoir une séparation aussi radicale que celle qui a jadis séparé, dans un temps pré-gentryfication, l'ouest bourgeois et l'est populaire de pas mal de capitales ou grandes villes (Paris, Londres, Berlin, Montréal).

Au premier abord, c'est simple. La Réole est bâtie sur un éperon rocheux en bord de Garonne, et s'est historiquement développée, essentiellement sur sa rive droite, autour de son Prieuré et de son château. Aujourd'hui laïcisé, le splendide Prieuré abrite la mairie, le service des impôts, la police municipale. Les lieux de décision sont donc restés "en haut",  comme une partie du patrimoine remarquable (l'ancien hôtel de Ville, qui accueille des expos, l'ancienne prison, L'Avant-Poste,  désormais tiers lieu culturel.

En bas, le long des quais, les habitations sont  régulièrement taquinées par les crues, quelquefois impressionnantes, de la Garonne, donc forcément plus dégradées, et moins recherchées.

Mais ça se complique vite.

D'abord topographiquement.

Illustration 1
Le quartier de la Marmory en contrebas

La ville ne se contente pas de longer un cours d'eau, elle en a recouvert deux, le Charros et le Pinpin.  Entre ces deux ruisseaux recouverts, et la tranchée créée par la voie ferrée, la Réole est séparée en plusieurs hauteurs et quartiers en contrebas comme le ravissant Marmory et son lavoir près du lit de l'ancien Charros à l'ombre du château. Et, généralement, on quitte la ville "par le haut", par la D 113 soit à l'Ouest direction Langon en traversant la zone commerciale de Frimont, soit direction Marmande au sud Est en surplombant la gare. Ou complètement par le haut, direction Sauveterre-de-Guyenne- Libourne ou Montségur au nord. Ou complètement par le bas, pour rejoindre l'autoroute (ce qui se faisait par l'impressionnant Pont du Rouergue, désormais fermé à la circulation, et oblige désormais à un détour). À noter que de l'autre côté du pont, en bas, il y a le quartier rive gauche de la Réole, Le Rouergue.

(Bref, on n'arrête pas de monter, de descendre, de se tordre les chevilles et le vélo électrique est un bon investissement.)

Revenons aux ruisseaux cachés. Le Pinpin, perpendiculaire à la Garonne est devenu la pentue avenue Jean-Delsol. Rue étonnante, parce qu'elle offre une sorte d'arrière du décor, sans façades: elle est surplombée d'un côté par une ancienne enceinte médiévale, de l'autre par l'arrière des maisons de la rue André-Bénac,  le plus sûr chemin pour relier rapidement les quais et le haut de la ville. Cette dernière débouche sur la rue Armand-Caduc désormais piétonne et commerçante, et cœur de la Réole.

Illustration 2
La rue Jean Delsol, bordée par l'une des anciennes enceintes médiévales.

C'est là que ça se complique encore, et que la sociologie (de comptoir) vient contrarier la géographie.

Non, ce n'est pas comme dans la chanson de Gilles Vigneault, les "gens d'en haut" n'habitent pas des "châteaux avec leur chapelle".

(Sauf le châtelain du cru qui occupe l'ancien château médiéval et pour la chapelle, je n'ai pas vérifié, c'est privé).

Même si le bas compte davantage d'habitat dégradé, le haut n'est épargné, ni heureusement réservé à la seule bourgeoisie locale. Du logement social s'y est implanté parfois de manière réussie comme le formidable "jardin sur le toit", résidence d'habitat participatif. Et un peu excentrés, des quartiers résidentiels s'étalent au dessus de la D113, soit côté Frimont soit côté gare, et sont donc très "en haut". 

Illustration 3
Avenue Jean Delsol, ancien lit du Pinpin

Mais "le haut" et "le bas", dans la bouche de pas mal d'habitant.es, ça désigne le haut et le bas d'Armand-Caduc.

Le "bas", ce serait donc la place de la Libération, carrefour central d'où partent précisément la rue Armand-Caduc, la rue Gambetta , les rues grimpant vers Montségur, celles redescendant vers la gare et le Pont du Rouergue. Carrefour aujourd'hui en travaux mais qui sinon ressemble fortement à un centre bourg avec banques, deux bistrots, le Turon, aujourd'hui fermé et le Gipsy ou officie Domi, une pizzeria et le cinéma Rex et son architecture années trente.

Donc, ici, pour beaucoup, on est "en bas". Mais en fait on est "au centre", et par rapport aux quais et à la gare, on est "en haut".

(Vous suivez?)

La sociologie de comptoir entre en scène. "Bas" et "Haut" =Prolos versus bobos?

Lecture grossière même si un premier regard et préjugé la conforte.. En bas d'Armand-Caduc et place de la Libération, l'indispensable Coccimarket où tout le monde va, et autour duquel traîne une petite bande (SDF) pas mal alcoolisée, deux kebabs, le Gipsy où vous trouvez l'artisan introuvable qui va s'occuper de votre maison, et en bord de Garonne le bar le Petit Baigneur au nom qui ne manque pas d'humour, la Garonne lui ayant donné quelques bains mémorables. Entre les deux, l'étonnant Garonne Bricolage, au personnel un peu bourru mais dont l'architecture ne passe pas inaperçue.

Illustration 4
On ne voit que lui quand on arrive de la gare

En haut d'Armand-Caduc la cave à vins naturels de Charlotte, et l'antre des Sorcières brasseuses de bière, où se retrouvent volontiers en voisins, les édiles (et beaucoup d'autres).

La vraie distinction, ce serait les commerces des Réolais de souche versus celles des néo-Réolais qui auraient la tare ineffaçable d'être Bordelais ou pire, Parisiens? Avec au milieu les librairies, la brocante, la petite Populaire, la crêperie1 comme frontières symboliques?

Encore raté! La Porte des épices d'Emeric, havre de ceux qui mangent bio et local, est tout en bas du Pimpin, comme le joli pub Petit Montmartre qui va rouvrir prochainement. Comme le tiers lieu culturel de Bouchra, le Café de la gare, face au pont. Les tiers lieux culturels s'étagent d'ailleurs assez équitablement entre tout en bas (Café de la gare), centre (le cinéma), milieu du haut (La Petite populaire), tout en haut (L'Avant-Poste, la médiathèque).

Vous êtes perdus?

C'est normal.

Parce que cette distinction entre haut et bas, bien que généralisée est complètement artificielle, si j'en crois la source (fiable) qu'est Domi, du Gypsy:

"Le haut, c'est Frimont, et l'Intermarché, et sinon, il n'y a pas de haut et de bas, c'est la Réole. Je suis une vieille Réolaise, cette histoire de haut et de bas, c'est les nouveaux qui nous ont apporté ça".

Illustration 5
Le futur ascenseur urbain, qui reliera les quais au Prieuré

Et de toutes façons, bas et haut vont être reliés par un ascenseur urbain.

Dont acte, La Réole sans frontières! (Sauf celle qui sépare les anciens et nouveaux et qui fera sûrement, un jour, l'objet d'un nouveau billet, quand je serai moins nouvelle parmi les nouvelles.)

1. La crêperie et deux des librairies sont en fait dans d'autres rues, mais tout près d'Armand-Caduc.

"Si ma chanson ne vous plait pas,

J'irai la dire aux gens d'en bas!"

(Les Voyageurs, Gilles Vigneault).

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