«Je me suis réveillé avec l'impression d'avoir pris une grosse brosse (cuite, en québécois)». C'est la réflexion de bon nombre de Québécois, notamment dans le milieu culturel, face à la victoire du parti conservateur aux positions proches de celles des Républicains américains.
Le 2 mai, jour des élections fédérales, ils croyaient dur comme fer à un affaiblissement du premier ministre conservateur, Stephen Harper. Or, ce dernier sort renforcé de ces élections: l'iniquité du scrutin majoritaire à un seul tour permet aux conservateurs de remporter la majorité absolue et d'avoir avec 40% des voix, face à une opposition majoritaire en voix, mais divisée entre le Parti libéral historique (centre droit) qui s'effondre (18% des voix), le Nouveau parti démocratique de Jack Layton (social démocrate) qui devient la principale force d'opposition du pays, le Bloc Québécois qui subit un échec historique et les Verts qui plafonnent à 3, 5% mais envoient pour la première fois une représentante aux communes.
Occultées par la mort de Ben Laden, les élections canadiennes sont passées à peu près inaperçues en France. Or, le pays vient de vivre un véritable séisme politique. L'historique Parti libéral s'effondre et au Québec, le désarroi face à la victoire des conservateurs (minoritaires dans les deux précédents gouvernements Harper) se double d'un autre choc: l'effondrement du Bloc Québécois, qui n'envoie que 4 députés sur les 388 que compte la chambre des Communes. Le clivage traditionnel droite/gauche, désormais accentué au niveau fédéral, se substitue au Québec au traditionnel dualisme entre fédéralistes et indépendantistes. La province francophone a fait un triomphe au NPD (43 % des voix), mais ce succès du parti social-démocrate s'effectue en grande partie au détriment du Bloc Québécois. « Le Bloc aurait dû se saborder, soupirent des électeurs qui lui sont pourtant restés fidèles. C'était l'élection de trop...» D'autres s'inquiètent d'une perte d'influence du Québec au niveau fédéral et soupçonnent le NPD, traditionnellement centralisateur, d'être assez peu sensible à la singularité des francophones. Mais ce qui domine dans la province, c'est la consternation face à un gouvernement que l'on sait régressif dans tous les domaines: social, sociétal, économique et culturel.
Résistants encore et toujours
Le Québec est le caillou dans la chaussure du gouvernement conservateur. Ici, la gauche (modérée, nous sommes sur le continent américain!) pèse plus de 65% des voix, et les conservateurs plafonnent péniblement à 16%! Une exception face au reste du pays qui, surtout dans les états agricoles du centre, Alberta et Manitoba, voit la montée de l'ultralibéralisme affiché par Harper et de la bigoterie conservatrice des chrétiens évangélistes. Même si quelques autres provinces comme la Colombie britannique et les territoires du Nord Ouest résistent à ce succédané de bushisme, c'est le Québec qui s'obstine à porter haut et fort ce qui a fait la différence canadienne en Amérique du Nord: prestations sociales généreuses comparées à celles des États Unis, financement public des partis politiques, légalisation du mariage gay, soutien public conséquent à la culture.... Ici Stephen Harper, bushiste à retardement, férocement néolibéral, totalement hermétique aux urgences environnementales, inculte, satisfait de l'être et d'une indifférence qui se mue en hostilité face aux questions culturelles et artistiques, fait figure de repoussoir absolu. « Leur Canada n'existe pas! » ironise un universitaire de Montréal. « L'électorat de Harper, c'est celui des provinces(1) peuplées de communautés distinctes totalement refermées sur eux-mêmes dans les prairies rurales ». L'équivalent canadien des rednecks, en quelque sorte. Mais les conservateurs ont aussi glané des voix en Ontario, dans le coeur économique du pays converti à la mondialisation libérale.
Leur insolence, les Québécois risquent de la payer dans les années à venir. Stephen Harper a déjà dans le collimateur Radio Canada, la chaîne indépendante francophone, qui risque fort de voir ses subventions fédérales coupées. Et à Montréal, les affiches fleurissent pour dénoncer le risque de suppression de l'assurance chômage, et l'alignement du gouvernement Harper sur la politique étrangère américaine. Un rendez-vous sur facebook a entraîné une centaine de jeunes à manifester spontanément leur colère, face à l'injustice du scrutin, et leur méfiance. Sur une pancarte « peur » remplaçait le mot « art », barré...
Fin ou résurgence d'une exception culturelle?
Chez les artistes, l'inquiétude est générale, même si, au Québec, une bonne part de leurs subsides (modestes, comparés à la France) viennent du Conseil des arts du Québec et des Conseils des arts des villes, plus que du gouvernement fédéral. Mais la crainte de voir les coupes sombres déjà effectuées dans la culture se double de l'écœurement face à l'indifférence absolue du gouvernement Harper sur le sujet. Dans ses précédentes campagnes électorales, Stephen Harper n'avait pas hésité à flétrir les artistes « non représentatifs du Canada », et le gaspillage des fonds destinés à la création. Et son gouvernement s'en était pris, tout d'abord, aux budgets de tournées à l'étranger. La levée de boucliers a été considérable et a contribué à le mettre en minorité: le Canada dans son ensemble, et le Québec en particulier, ne manque pas de grandes figures aptes à se faire entendre, de Wajdi Mouawad à Edouard Lock en passant par Marie Chouinard. Et pour les artistes québécois, aller se faire voir ailleurs est fondamental: hors Montréal, Québec, et un peu Trois rivières, les possibilités de tournées ou d'expositions sont extrêmement limitées dans la province. Quant au reste du Canada, hormis Toronto... un billet d'avion pour Vancouver s'avère plus cher qu'un billet pour Paris! Ajoutons à cela le peu de curiosité des anglophones pour la production intellectuelle et artistique québécoise... et l'on comprend que les cousins lorgnent vers l'Europe. Au risque, parfois de lisser leurs productions (plus trace d'accent québécois dans une partie du théâtre le plus institutionnel!)
Paradoxalement, le désastre annoncé de quatre ans de gouvernement conservateur pourrait raviver la revendication indépendantiste, restées sous le boisseau depuis le dernier référendum de 1995, où les indépendantistes avaient perdu de très peu (49%). Ilôt de gauche dans un pays conservateur, le Québec va sûrement défendre chèrement ses acquis sociaux plu avancés que dans le reste du Canada, sa vitalité culturelle, et cela pourrait aboutir à une victoire de la gauche alliant indépendantistes et fédéralistes aux élections provinciales. Le sentiment national reste vif et loin d'être rétrograde, pourrait bien accompagner le progressisme affiché de la province: « Ici, le souverainisme est plutôt de gauche, soulignent les observateurs, et les désastres annoncés risquent de le renforcer. » Vive le Québec libre et de gauche?
Billet de blog 8 mai 2011
Élections canadiennes: au Québec, les cousins ont la gueule de bois
«Je me suis réveillé avec l'impression d'avoir pris une grosse brosse (cuite, en québécois)». C'est la réflexion de bon nombre de Québécois, notamment dans le milieu culturel, face à la victoire du parti conservateur aux positions proches de celles des Républicains américains.
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