
Quand j'ai posé autour de moi la question existentielle : "Où atterrir"? (Merci Bruno Latour) sur Facebook, une excellente amie, très vite confortée par d'autres, m'a dit: "Tu devrais regarder du côté de La Réole!".
Un fantasme et un vieux tropisme me poussaient vers l'Irlande. Un voyage, pas le premier m'a confirmé que ce serait difficile, à peu d'années de la retraite pré macronienne. Aller du côté de Bordeaux où j'ai conservé un écosystème de vieux et vieilles copines semblait une bonne alternative, à ceci près que mon budget me permettait à peine 5 ou dix mètres carrés de plus qu'à Montreuil.
Mais La Réole?
J'ai passé douze ans dans le Sud-Ouest. J'ai fait quelques reportages du côté de l'Entre-deux-mers, chez François Mauriac (mouais bof) à Malagar, ou dans la jolie Sauveterre de Guyenne romanesquement nommée, mais je ne crois pas avoir visité La Réole, restée pour moi une sortie de l'autoroute Bordeaux-Toulouse, un archétype du petit bourg perdu au milieu des vignes et trop loin de Bordeaux.
J'avais envisagé Libourne, nantie d'une gare TGV et dont la proximité avec l'A89 me mettait sur la route de mes racines auvergnates.
Les copines ont été définitives: "Non, La Réole est the place to be".
Le 1er juin 2022, une semaine après avoir signé le compromis de vente de la maison parentale héritée, j'ai donc pris le TER Bordeaux-La Réole, munie de quelques numéros de téléphone.
Premier atterrissage chez Jean-Denis Pendanx, auteur de bandes dessinées.

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J'avais connu Jean-Denis à Bordeaux il y a quelques vingt huit ans, comme dessinateur prometteur d'une génération qui rafle de jolis succès à Angoulême et ailleurs. Je l'ai retrouvé en famille, avec son épouse Clotilde, originaire de la Réole, deux filles, deux chats, et une superbe et immense maison, et un beau palmarès d'albums derrière lui. Un déjeuner chaleureux, une discussion et une balade m'ont fait découvrir le charme de la ville perchée au dessus de la Garonne, aux ruelles étroites et au patrimoine médiéval remarquable: l'ancien Prieuré mairie-médiathèque, l'ancien Hôtel de Ville, la maison du Prince Noir. (Bon, Edouard de Woodstock, héros british du début de la Guerre de Cent ans bien avant que l'Anglois ne prenne la pâtée à Castillon-La-Bataille a dormi dans à peu près tous les bleds du coin, Aquitaine, si l'on en croit les plaques "châteaux du Prince Noir". Le repos du guerrier après les massacres. Mais c'est comme habiter près de la place Richard Cœur de Lion, ça donne une touche médiévo-shakespearienne qui n'est pas pour me déplaire.)

Fort joli bourg, donc, à 35 mn à peine de Bordeaux en train suffisamment fréquents.
Mais ça n'aurait pas suffi.
Un coup de fil et la recommandation d'amis m'avaient obtenu un rendez-vous avec Vincent, élu municipal de La Réole et proviseur d'un lycée dont le cadre ferait l'envie de pas mal de profs franciliens. Vincent me parle chaleureusement de sa ville d'adoption, sans en occulter les difficultés — La Réole fait partie de ce qu'on a appelé le "couloir de la pauvreté" en Gironde, avec un enthousiasme communicatif sur la renaissance de la ville et les Réolais, anciens ou néo, et ses lieux incontournables.
Le jour même, j'en ai visité un. L'Avant-Poste, l'un des trois "tiers-lieux" de La Réole, mot galvaudé s'il en est qui s'applique aussi bien à une startup qu'à un café. Ici, c'est une étiquette qu'on peut accoler à trois ruches d'initiatives artistiques, associatives, conviviales, politiques.
L'Avant-poste est une ancienne prison de femmes, qui a gardé dans son aménagement intérieur les marques de sa sinistre fonction. C'est dans les minuscules cellules que Benjamin et Yacine, âmes du lieu, mettent en scène des expositions d'art contemporain, reçoivent des artistes en résidence, programment des spectacles, lectures, performances, concerts, font un jardin.

Benjamin Yousfi et Yacine Sif El Islam sont un couple. Yacine est comédien et metteur en scène, remarqué par la critique à plusieurs occasions. Mais la presse a aussi parlé d'eux pour une raison sordide: en 2020 à Bordeaux, ville gangrénée par l'extrême droite à l'instar de beaucoup d'autres, ils ont été victime d'une agression homophobe. Face à la haine et de la bêtise, ils ont refusé de sombrer et ont fait ce qu'ils savent faire: créer. Un spectacle, un livre et ce lieu, qui participait ce Week-end à l'opération Féminart (car La Réole est aussi un terreau féministe, patience, il en sera question bientôt).
Bel endroit pour des rencontres. Il restait à les arroser, et en haut de la rue Armand Caduc, axe qui structure la ville, on a le choix entre les bières des Sorcières et les vins naturels de C du vin.
Ça faisait déjà pas mal pour un premier contact, et j'ai repris le TER séduite.
Restait à trouver une maison.