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Billet de blog 28 avril 2023

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Entre deux mers, 4

Où entre signature du compromis et remise des clefs de sa maison, l'auteure est en proie au doute, sur fond de grisaille hivernale. Patience, on emménage bientôt.

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Signature du compromis: 15 novembre 2022.

Remise des clefs: 15 février 2023.

Il n'échappera pas à mes lectrices et lecteurs sagaces que ce moment d'attente passablement pénible correspond aux mois d'hiver.

Ils ont été ponctués d'aller-retours à La Réole, de re-visites de la maison, de tentatives de mieux connaître la ville, de venues avec des copains auxquels j'étais ravie de montrer mon futur cadre de vie.

Et là, parfois, le bug.

Illustration 1
Le Café de la gare, ou chez Bouchra, l'un des trois tiers lieux, face au Pont du Rouergue

Première leçon: éviter les lundis à La Réole, à fortiori un jour de décembre pluvieux, où les visiteurs hagards parcourent la cité à la recherche d'un store ouvert et d'un lieu où prendre un verre.1

(Comme dans la plupart des petites et mêmes moyennes villes.)

Et même les mardis et dimanche de décembre-janvier-février..

Avouons que les débuts de semaines hivernales, la cité ne se montrait pas sous son jour le plus radieux. L'ambiance hésitait entre Dead Can Dance et Joy Division. Et moi si fière de montrer aux copains les rades de ma nouvelle ville, je me cassais le nez sur des portes fermées.

Le doute a commencé à me ronger. Et si je ne réussissais pas à m'intégrer?

Je me voyais déjà déprimer, quand je serai bien vieille, le soir, à la chandelle...

De quoi passer quelques nuits presque blanches de dialogue entre moi et moi:

"Tu rêvais d'Irlande et d'Écosse, et tu flippes sur un décembre pluvieux à La Réole?

– Mais en Irlande y'a des pubs, avec des Irlandais.es dedans 2. Je vais faire quoi des longues soirées d'hiver? 

– La même chose qu'à Paris, Dublin, Clermont-Ferrand ou Bordeaux: cultiver la mélancolie avec la trilogie bouquin-couette-chats sur fond de Léonard Cohen ou mater une série. Et puis, l'atmosphère humide et lugubre, c'est bon pour l'écriture, regarde les sœurs Brontë.3

Illustration 2

– Oui bon, elles sont mortes jeunes et tuberculeuses."

Le tout sur fond d'angoisses métaphysiques et gouffre d'interrogations:

– "Finalement, je suis plutôt bien à Bordeaux avec le marché des Capucins, le théâtre et le ciné tout près...  Le dernier train de retour de Bordeaux est à 21h35, pour aller voir des spectacles, il va me falloir une voiture, ça entre dans le budget? Qu'est-ce qui m'a pris de me mettre des travaux sur le dos, en pleine inflation, alors que les matériaux et les artisans sont aussi difficiles à trouver qu'une parole de vérité chez Darmanin? Et les chats? Mon vieux Rouzic perclus d'arthrose va se prendre des raclées par l'armée féline du quartier, ma petite Genette craintive va se perdre dans une ZAD moustachue.4  Et où vais-je trouver du zâatar et des chocolats Bonnat?"

Teaser: toutes ces angoisses ont trouvé des résolutions. (Sauf pour les chocolats Bonnat, d'ailleurs, si La Porte des épices me lit... )

Mais j'avais, sans le savoir, touché du doigt l'un des sujets sensibles à La Réole: la difficile mais impérative survie du commerce de proximité.

Cette question a fait récemment l'objet d'une projection-débat au cinéma Le Rex (indépendant, associatif et qui fait de beaux efforts de programmation exigeante et variée).

La Réole est traversée de bas en haut par une grande artère désormais piétonne, bordée d'immeubles historiques souvent remarquables, la rue Armand-Caduc. Une autre rue étroite et pavée, la rue André-Bénac, la relie aux quais de la Garonne. Elle illustre la déshérence des commerces: deux librairies, La Folie en tête et La Nuit des roisle salon de coiffure Super, un atelier-galerie de photographies et une boutique de couture, surnagent au milieu de multiples vitrines vides et panneaux "À louer". Panneaux qui ponctuent aussi la rue Armand-Caduc.

Illustration 3
Le Salon Super, ou chez Lydie

Ce ne sont pourtant ni les envies ni les initiatives qui manquent. J'ai cité et je reparlerai du bar à vins, de la microbrasserie des Sorcières, du magasin d'épices et d'alimentation éthique (y'a du zâatar), et d'autres. Mais La Réole a subi le COVID et vécu de longs travaux d'aménagement (ce n'est pas fini).

Et surtout, tous ces commerces se heurtent aux difficultés de pouvoir d'achat d'une majorité d'habitant.es.

 Lors de cette projection organisée le cadre des ciné-débats de Clins d'œil, Lydie, coiffeuse, Domi, patronne de bistrot, Mariam, qui tient un salon de massage, en témoignaient au milieu d'autres commerçant.es.  Passionnées par leur métier, beaucoup reconnaissent néanmoins que c'est un combat quotidien que de rester ouvert, et de tenter d'assurer un salaire. Et en appelaient à l'engagement des habitants pour maintenir la ville vivante. Car bien évidemment, la ville n'a pas échappé aux inévitables zones commerciales, ni ses commerces de proximité à la concurrence des LIDL, Action et autres grandes surfaces. Certain.es ont dû jeter l'éponge, comme Maud et son épicerie-restaurant. Il y a du turn over, des lieux qui  trouvent une nouvelle vie après fermeture, des locaux en réfection, mais l'état de déliquescence de certains vitrines montre des abandons de longue date.

Illustration 4
Le pub Petit Montmartre à la réouverture promise prochainement

D'où l'importance de garder des lieux ou on va "chez" quelqu'un, plutôt que juste faire ses courses comme une corvée: chez Emeric l'épicier, Charlotte la caviste, Doudou le brocanteur et sa cave aux trésors ouverte de temps en temps, Les Véros et leurs bières de sorcières, Anne la libraire, Bouchra du Café de la gare, Émilie et sa crêperie...

Illustration 5
La crêperie d'Émilie (les nez rouges, c'est pas tout le temps)

J'ai emménagé le 18 mars, et ces prénoms me deviennent peu à peu familiers; ceux d'une communauté pour qui le commerce est d'abord un lieu de relations humaines. Ça tombe bien, c'est le printemps et tout le monde croise tout le monde en terrasses.

1. Je ne connaissais pas encore Domi, figure de la ville, et son bistrot Le Gipsy.

2. Un pub va réouvrir, le ravissant Petit Montmartre.

3. L'autrice n'a pas l'outrecuidance de se comparer aux talentueuses Charlotte, Emily et Anne, ni surtout celle de comparer La Réole à Haworth, leur lieu de vie  dans le Yorkshire qui en hiver est réellement à se flinguer!

4. La Réole a presque la même densité de chats errants qu'Istanbul! Et des nourricier.es bienveillant.es. N'empêche que même pour une chatophile comme moi une campagne de stérilisation serait une bonne idée.

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